Présenter pareil roman revient à encourir le ridicule. Tant pis.
Voici donc l’histoire de la très solitaire Cynthia Lelague, journaliste frondeuse au Angel Times, experte en arts martiaux, qui s’empresse, la nuit venue, de jouer les redresseuses de tort. Affublé d’un délicieux pseudonyme, elle exerce une justice expéditive et s’attire par là les foudres des autorités. Disons-le tout net, Fuckwoman -la traduction ne s’impose pas- ôte aux violeurs le goût de la coercition :
« -Tu veux baiser les femmes contre leur volonté ?
Elle se planta de part et d’autre du corps de l’individu.
Tu veux les entendre gueuler ?
Il la regarda.
O.K., conclut-elle, on baise. »
Fin du chapitre. On n’en saura pas plus sur ladite baise, on aura tout loisir d’y rêvasser. Il est toutefois des traitements moins traumatisants, et une reprise en main idéologique peut parfois suffire au bonheur de Cynthia, comme lorsqu’elle peinturlure des mots doux sur les fesses d’un mâle ligoté. « Il n’y a pas plus de réalisme social/ Chez un Quentin Tarantino/ Que dans le Magicien d’Oz/ Ou chez un Travolta latino » : quatrain rageur et premier rappel cinématographique dans un roman qui les multiplie allègrement, que ce soit pour critiquer les poncifs du film noir ou pour attribuer aux personnages la trogne du tout-Hollywood, comme s’il s’agissait d’anticiper l’adaptation et son casting. Warwick Collins, roublard, signale la somme de fictions et d’invraisemblances sur lesquelles il bâtit les siennes. Il pratique une littérature de genre aux allures de gros rafiot peu élégant, mais possède assez d’astuce pour faire passer quelques idées en contrebande.
De prime abord, les motivations de notre justicière semblent sommaires ; elles se creusent par vagues successives, et l’on s’attache bientôt à la révolte confuse d’une fille d’intellectuels libéraux « contrainte d’affirmer sa propre personnalité en devenant intolérante », oubliant du même coup combien cette (super) héroïne doit à Clark Kent. On en vient même à oublier que Los Angeles a déjà été décrite jusqu’à la lie, l’auteur inversant habilement la perspective accoutumée : il n’y aurait pas de réalité (sordide) à traquer derrière les apparences (clinquantes), puisque c’est dans l’imposture que résiderait la seule authenticité de la ville. Ainsi, n’allez pas croire qu’un maire pris la main dans la jupe d’une accorte collaboratrice ait quelque chose à cacher, lui qui s’attache justement à créer l’illusion « d’un homme chaleureux envers les gens », un homme « dont les gestes trahissaient parfois comme une pointe de truculence naturelle ».
Il est donc encore question de fiction. Et il n’est pas étonnant que le méchant de l’histoire soit psychiatre, comme dans Le Silence des agneaux. Seulement ici, dépoussiérage oblige, à lui de pourchasser la femme et d’incarner l’ordre. C’est un méchant fort crédible, d’ailleurs : le docteur Holocenter (que l’auteur, ceci dit en passant, verrait bien incarné à l’écran par James Woods) est attaché avec une égale passion à la défense du régime démocratique et à l’élimination pure et simple d’une fauteuse de troubles. Éminence grise du L.A.P.D., il ne cesse d’incriminer sur les ondes celle qui « a outragé les procédures et les institutions mêmes qui nous sont chères à nous autres américains »… Une phrase comme ça, il faut la lire avec beaucoup d’attention, et s’en pourlécher. Mais notre joie n’aura qu’un temps : dans un final délirant, policiers, politiques et manifestants se réconcilient en entonnant l’hymne national. Faut-il le regretter ? Ce serait vraisemblablement pécher par naïveté : la subversion, dans ces pages, n’est qu’une fiction de plus.
Fuckwoman
Warwick Collins
Traduit de l’anglais
par Jean-Noël Chatain
10/18
340 pages, 7,62 € (50 FF)
Domaine étranger Fiction et Cie
décembre 2001 | Le Matricule des Anges n°37
| par
Gilles Magniont
Le Britannique Warwick Collins est un redoutable contrebandier. Un titre aux gros sabots pour un roman malin : Fuckwoman, ou l’art d’exploiter ses faiblesses.
Un livre
Fiction et Cie
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°37
, décembre 2001.