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Égarés, oubliés Robert Ganzo, entre fleuve et pierre

décembre 2001 | Le Matricule des Anges n°37

Poète et résistant, Robert Ganzo (1898-1995) fut un continuateur conséquent du courant Mallarmé-Valéry. Ami des peintres et des poètes, il fut frappé de fièvre lithique et, passionné par la préhistoire, devint aussi celui des pierres.

Robert Ganzo incarnait ce paradoxe d’avoir été danseur à Bruxelles -il publiera en 1930 Du dancing ou le danseur sentimental- avant de devenir bouquiniste puis libraire à Paris, rue de Vaugirard, d’être né à Caracas, en 1898, mais d’être poète français, de se vouloir peintre à ses heures – « Je suis un peintre préhistorique » aimait-il dire – et d’avoir fini par délaisser la poésie pour remonter précisément vers la préhistoire dont il se fit le théoricien rebelle… Comme si, après avoir descendu le fleuve Orénoque dans l’un de ses plus beaux poèmes, il en avait remonté le cours jusqu’aux sources les plus secrètes de l’humanité. Mais, après tout, la danse peut être une poésie en mouvement et la préhistoire une face cachée de la poésie : celle-ci pour lui était une rêverie qu’il tentait, au grand dam des spécialistes, d’arrimer dans une cale qu’il voulait théorique sans en renier la poésie.
Peut-être est-ce cette diversité de talents, toujours mal vue en France, qui l’empêcha d’accéder à une plus vaste audience : Robert Ganzo, poète, aura frôlé le renom sans jamais connaître le véritable succès et ce malgré une très longue existence de quatre-vingt-dix-sept ans.
S’il ne fut pas célèbre, Ganzo ne fut pas ignoré. Ses pairs le reconnurent. Si Valéry s’inquiétait un peu de ce titre d’Orénoque que Ganzo donna à l’un de ses recueils, il ne lui ménagea ni son estime ni son attention. Léon-Paul Fargue préfacera dès 1938 ses Sept chansons pour Agnès Capri où le poète renoue avec la tradition de la chanson populaire au même moment que Desnos et Prévert. Comment ne pas rappeler au passage que Ganzo fut un des poètes dont les républicains espagnols récitaient les strophes : « Mais c’est si loin Shangaï/ et c’est si loin Madrid/ que ce grand cri vous ne puissiez l’entendre » (Aux égarés). De même qu’en ces années, ce qui deviendra le poème Tubize est récité, en France, dans les usines en grève : « Dans cette usine ça sent l’éther/ et dans l’éther peinent les filles. »
Certes ces quelques titres n’auraient pas suffi à faire de Robert Ganzo un poète de haut rang, ce qu’il est indubitablement. Entre 1937 et 1954, paraît l’essentiel de son oeuvre poétique : un maigre volume (une centaine de pages) mais d’un superbe éclat et d’une rare densité. OEuvre en deux temps qui naît avec Orénoque (1937), se poursuit avec Lespugue (1940), Rivière (1941), Domaine (1942) et reprend après-guerre avec Langage (1947), Colère (1951) et Résurgences (1954) qui marque en quelque sorte son éloignement de la poésie.
À l’exception de Claudel évoquant « l’épaisse touffe de l’Orénoque » (Cinq Grandes Odes), aucun poète européen ne semble avoir nommé ou pris pour titre ce fleuve. Ni Rimbaud, ni Ducasse. D’emblée Ganzo l’évoque comme un lieu où « le soleil mène à coup de trique/ un bagne dans un paradis » et rappelle son enfance et son besoin de « Boire encore au sein d’une esclave/ un lait de soufre et d’orchidées » et chante ce fleuve « avec ton nom de femme soûle » en une sorte de Délie exotique, ensauvagée, passant du dizain au huitain à travers des images insolites comme : « le ciel a des lèvres de veuve ».
En plus d’un sens, Robert Ganzo est l’un des très rares continuateurs authentiques du courant Mallarmé-Valéry, mais en plus cosmique et mêlant superbement – ellipses et correspondances – le classicisme et la modernité. Lespugue qui paraît l’année où Lascaux est découvert, est sans doute le premier grand poème inspiré par la préhistoire, rencontre ou remontée vers la femme première, à la fois humaine et cosmique : « Ta chair immense que j’étreins/ riait et pleurait dans ma moelle,/ et je trouve, au fond de tes reins/ la chute sans fin d’une étoile. »
En 1948, Ganzo rencontra une véritable audience lorsque, résistant authentique, emprisonné sous l’Occupation, il publia aux Éditions de Minuit Cinq poètes assassinés, une présentation et une anthologie de Max Jacob, Robert Desnos, Benjamin Fondane, Georges Chennevière et Saint-Pol-Roux, tous massacrés par les nazis. On ne saurait nommer Ganzo sans évoquer son amitié avec les artistes. D’Oscar Dominguez à Jacques Villon, d’Ossip Zadkine à André Beaudin, chacun illustra à sa façon ses poèmes. Mais la rencontre la plus heureuse s’accomplit avec Jean Fautrier qui fit d’Orénoque comme de Lespugue de grandes oeuvres bibliophiliques. Au sculpteur Hadju, Ganzo consacra un petit livre original et sensible (Musée de Poche, 1957).
Comme Léon-Paul Fargue dont il fut ami, Robert Ganzo lorsqu’on lui apportait à signer le recueil de ses poèmes, commençait par corriger soigneusement les quelques coquilles. J’ai connu l’homme tardivement, peu d’années avant sa mort, mais à quatre-vingt-quinze ans, il restait d’une vitalité et d’une présence étonnante, aux gestes vifs, à l’attention jamais démentie. L’écriture était ferme. Il continuait à fumer la pipe, travaillait encore à un futur poème. Il ressemblait un peu, par la densité, à ces pierres qu’il ramassait dans les forêts et dont il était convaincu qu’elles évoquaient des têtes humaines ou figuraient des profils qu’il identifiait. Des deux placards, dans son appartement proche du Trocadéro, l’un recelait ses livres les plus précieux, tandis que l’autre, fermé à clef comme un trésor, contenait sa collection de pierres choisies pour leurs formes insolites, anthropomorphiques ou pour leurs dessins gravés par les millénaires et dont il aimait traduire le graphisme sur une feuille qu’il vous donnait en partant. Face à ce monde lithique, il y avait en lui, préservé jusqu’au dernier souffle, cet émerveillement de l’enfant qui reste le secret du poète.

*Derniers livres parus : Henri Michaux (Atelier des Brisants) et Îles insurgées (Dumerchez)

Robert Ganzo, entre fleuve et pierre
Le Matricule des Anges n°37 , décembre 2001.