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L'Anachronique Langue des arbres

septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40 | par Éric Holder

En descendant le pré, j’ai senti qu’on m’attrapait par l’épaule. Le cognassier. J’ai levé la tête. À l’extrémité du feuillage auquel on ne prêtait guère de grâce, piqué de rouille, des pousses jouaient des coudes. « Des pousses » : on aurait dit qu’il leur fallait se frayer un chemin au milieu d’on ne savait quoi pour émerger à la lumière. L’arbre entier tendait le menton vers le ciel dans la pose du courageux solitaire, qu’on ne s’en fasse pas, il y parviendrait -enfin, peut-être, mais ça ne regardait que lui.
J’ai été prendre la serfouette, je l’ai ameublé au pied. Il n’y avait qu’UNE mauvaise herbe, un entrelac, une racine en toile de jute qui empêchait tant l’air que l’eau de passer. Je vidai deux arrosoirs, un dans chaque main, comme un dessert, comme on abreuve une géante, avec une satisfaction de tavernier.
Je regagnai la maison à l’heure mauve, quand, malgré le soleil couché, le jour joue les prolongations. L’homme se sent de trop, entouré par la ferveur étrangère. Je sentais dans mon dos que le cognassier n’y participait pas encore. Il y avait, de sa part, un étonnement.
La nuit, en fumant une cigarette sur la terrasse, et songeant à ses congénères, je vis que j’avais sans doute -qu’est-ce qu’on sait ?- commis une erreur. Soignez un chat retourné au maquis, il en viendra d’autres. Vous les nourrirez tous. Qui serait le premier à demander, le lendemain, et quoi ? Des pommiers, du merisier, des cerisiers, du saule, des pruniers de dix ans ou de ceux, à peine trois ou quatre, du jeune mûrier alba ? Pas le noyer, pour sûr, qui était à présent quasi vénérable. Ni les chênes sessiles, et ni les conifères.
Ce fut le tilleul qui se manifesta, aux alentours de 18 heures, dans un flamboiement à contre-jour, les fleurs safran agrippant le soleil sur son déclin tandis que le corps se teintait d’un vert inquiétant. Je comprenais pourquoi avait-il pris une telle ampleur, été après été, le sauvage. Je l’avais arraché à la forêt où, comme quatre de ses semblables, il attendait une chance sur cinq de vivre -parce que c’est ainsi, les arbres, il leur faut de la place, c’est tuer ou être tué. Il regardait passer les nuages et disait, Bon sang, pourvu que j’aie la force. Il se retrouvait à présent sans personne alentour, de vagues formes, là-bas… À cette distance, des minus ?
J’avais retenu une leçon, du temps que je lisais des conneries de magazines consacrés au jardin, il ne fallait pas laisser pousser les troncs de façon bifide, c’est-à-dire partant de la base en deux pieds. J’allai vérifier. Je découvris que ceux dont c’était le cas chopaient les boules, il y avait lutte sans merci, le « siamatchi » de Haddad ( Hubert Haddad ). Je coupai, entre autres, un pied mort, mais qui s’était entortillé autour du tronc survivant dans un mouvement désespéré, le geste d’un maudit. Le cerisier avait été planté douze ans auparavant ; sous la pression, il faisait un peu moins de la moitié de son âge.
Il y avait cette méchante affaire du rosier rustique, non remontant, gros bois, le genre de bestiau à prendre dix mètres de janvier à décembre. Je l’avais installé à côté d’un pommier d’âge mûr, mais malade -ce dernier n’aurait plus servi que de charpente. J’avais trouvé un matin le rosier flingué. Net. Le pommier, les épaules d’un coup plus lourdes, la tête rentrée, promenait sur son dos, telle une pancarte d’avertissement, la dépouille séchée de l’autre. Tout ça s’était passé à des hauteurs inaccessibles, et, en circonvenant des yeux la ramure, on songeait avec un vague effroi aux combats de cachalots et de calmars géants qui ont lieu, dit-on, dans les profondeurs abyssales.
Le pommier se portait mieux qu’autrefois. J’étais cependant certain qu’il ne donnerait plus de fruits -ou alors, des médiocres, des vieillis avant l’heure, des aigris. Des abîmés.
On entend parfois à la radio, le week-end, les conseils d’un jardinier (Thomas Diafoirus). Au téléphone, des auditeurs tâchent d’expliquer de quoi souffrent leurs peupliers. La régie coupe trop vite leur parole étonnante, une parole balbutiante, revenue d’un autre monde.
La joie y est sourde, profonde. La brutalité, sans apprêt.

Éric Holder

Langue des arbres Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°40 , septembre 2002.