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Domaine français Fille et amère

septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40 | par Pascal Paillardet

Après Bord de mer, la dramaturge Véronique Olmi publie l’énoncé magistral d’un amour filial refusé. La Numéro six, la dernière-née, comme la cadette de ses soucis.

C’est un soir d’automne, une flambée de feuilles mortes. Sans un regard pour la fillette éberluée, le père ratisse le jardin et travaille un feu qui meuble le ciel. « Je comprends ! Je comprends… C’est toi qui fais les nuages ». Longtemps après, Fanny se souviendra du chapeau de paille, du tablier bleu, des mains du père ravitaillant les flammes. Elle n’avait que cinq ou six ans, ses yeux s’amusaient de ce brouillard brûlant. Cadette de la famille, Fanny ignorait que cette ombre âcre ne se dissiperait jamais, ou si rarement -ce jour par exemple où le père, harmonisant sa tribu pour une photo de plage, s’apercevant soudain d’une robe absente, plongea avec autorité dans la mer pour sauver une vie. C’était bien là une attitude de docteur, le bon docteur Delbast, ou un héroïsme de caporal -« Un éclat d’obus dans ton crâne. La guerre t’es rentré par la tête, jamais elle n’en sortira ». C’était bien là une manœuvre de chef, une morale à quoi accrocher l’honneur d’une famille. La famille Delbast.
Docteur réputé et ancien « cabot » de 14, ce père adulé est un premier de cordée. Le lien a été tissé de fierté, un orgueil solidement noué au caractère de Patrice, l’aîné de vingt ans qui lui ressemble tant ; il s’est effiloché au fil des frères et sœurs, alourdissant la charge, pour finalement s’achever en « queue de comète » par une grossesse tardive. Le père avait cinquante ans, le respect des aveugles préceptes catholiques était une autre de ses certitudes. Refusant l’avortement, il se résigna à accepter cet additif généalogique : Fanny, l’inattendue. Et c’est l’histoire rabâchée d’une « enfance périmée » que la benjamine bégaya devant la fratrie…
Troublant, traversé par une violence non pas adoucie mais réduite à la brutalité des sentiments, attendus ou refusés, Numéro six est le récit de l’ultime tentative de Fanny pour rompre avec l’indifférence, plus blessante que le mépris. Dans son premier roman Bord de mer (Actes Sud), paru l’an dernier, Véronique Olmi avait dénoncé le cruel apogée de l’amour maternel, ressenti jusqu’à l’outrance. Numéro Six raconte, avec une même lucidité, un amour filial désavoué. « Ma place, c’est la dernière. La dernière de la famille, la numéro six comme on me présente », avoue Fanny. Poursuivant son exploration des entraves familiales pernicieuses, Véronique Olmi décrit, à travers un monologue désespéré et parfois hargneux dédié au père inaccessible, un espoir infructueux de reconquête : entrée par effraction dans le clan, Fanny, devenue quinquagénaire, ne parvient toujours pas à rejoindre le « petit peuple » Delbast, où le paternel vieillissant s’emmêle dans les bannières et confond les prénoms.
Dans Numéro six, Fanny libère avec avidité une parole intérieure faite de rancœurs et de tristesse, mais tendue vers un fragile espoir. Elle se souvient de son enfance vécue dans la clandestinité, de son admiration bafouée, de sa haine pour une mère qui lui usurpa l’affection paternelle. « Moi, quand elle est morte, j’ai pensé que c’était mon tour. J’allais te redonner le goût de vivre, nous allions avoir notre temps. J’étais prête pour le début de notre histoire. Tu n’étais déjà plus là ». C’est l’enjeu de ce bouleversant roman de réparation. Véronique Olmi veut croire elle aussi -ses phrases attendries en sont la preuve- à la réconciliation tardive avec le vieillard, devenu centenaire, qui se meurt dans une maison de retraite, retranché dans l’abri du mutisme. L’émotion naît de l’abîme d’incompréhension qui ne cesse de se creuser entre le père fantomatique et sa fille qui rêve de l’absoudre, malgré lui.
Porté par une prose souvent tentée par l’éruption poétique, Numéro six est la deuxième fiction romanesque de la dramaturge Véronique Olmi, 40 ans, auteur de plusieurs pièces de théâtre (Chaos debout, Le Passage, Le Jardin des apparences…) et de nouvelles (Privée, éditions de l’Arche). D’une glaçante lucidité, son livre est une féroce mise à mort de l’affection paternelle.

Numéro six
Véronique Olmi
Actes Sud
104 pages, 11

Fille et amère Par Pascal Paillardet
Le Matricule des Anges n°40 , septembre 2002.