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L'Anachronique Nelly

novembre 2002 | Le Matricule des Anges n°41 | par Éric Holder

Cette année aura été celle des fruits inouïs, et des visites à Nelly. Les cerisiers ployaient sous le poids de leur don, puis ce furent les pruniers, les pommiers, cependant la récolte, à chaque fois, était gorgée d’eau et subissait -je jure que c’est le terme- la turgescence. Je m’étais rendu pour la seconde fois chez Nelly en neuf jours, ce qui n’avait pas laissé aux cheveux le temps de repousser, mais j’avais une excuse : les vacances tiraient à leur fin. Nous ne nous verrions plus. J’avais pris la moto, et je l’avais garée devant les deux vitres. C’est au moment d’en descendre que vous vient une bouffée de chaleur : Bon sang, se tenir droit ! La béquille latérale. Les rues du vieux village en pente sont désertes, les portes des granges fermées dessinent des trous d’ombre. On n’ose pas regarder derrière les carreaux. L’on sent pourtant une présence.
En franchissant le seuil, il faut se défaire de l’impression de tristesse qui surgit, elle n’est due qu’aux deux fauteuils, le plus ancien sert de modèle de secours. Nelly ne reçoit qu’un(e) client(e) à la fois. Elle fait des économies d’électricité, de bougies et de parfums entre les prestations.
C’est invisible pour un coup d’œil inaverti, au milieu des ampoules et des mèches qu’on allume, tandis que vous vous asseyez devant le grand miroir, il y a un autel sur votre gauche, habilement dissimulé parmi d’autres objets. En-dessous brûle de la cire odorante. Le trio gagnant, dans la grande foire aux souvenirs-pour-faire-distraction, c’est : 1) la pochette du disque Crown of creation du Jefferson airplane 2) une pincette à mégot disposée sur un carré de tissu précieux, par « pincette à mégot », j’entends une petite chose absolument adorable (en nickel ?) pour achever les bouts de joints 3) un truc pour faire joli dans l’absolu, c’est-à-dire une espèce d’éléphant en pseudo-ambre vert, les flammes des chandelles dansent à travers, quel boutiquier vend ça ? Mais voilà, on suppose que Nelly a eu le même, en réduction, sur sa table de nuit. Elle trouvait ça joli. Plus tard -dans quel lieu ?- le gros retient son attention. Et elle s’épate d’en pincer pour ça, d’en pincer vraiment, avec quelque chose de supplémentaire par rapport aux autres objets alentour. Ah oui ! La lumière de l’éléphant sur la table de nuit… Elle rit. Et pourquoi pas, au fond ? Et si la beauté avait ordonné son critère en nous à tel moment, pas à un autre ?
« Un truc pour faire joli dans l’absolu », donc.
Suffit. Les doigts de Nelly viennent de me prendre la nuque, j’en ferme les yeux. Si je les rouvre brièvement, c’est pour tâcher d’apercevoir, dans son reflet, la vision que j’ai eue d’elle un jour : soixante moins vingt, il restait quarante ans. Quel éclat de lumignon tremblotant lui avait soudain jeté un éclat fauve dans l’œil, tandis qu’au-dessus d’un teint de belle foraine, ses cheveux formaient une masse profonde ? C’était avec naturel que sa hanche droite avait roulé, hop, pour venir surplomber imperceptiblement la gauche. Avais-je rêvé, ou bien avais-je été le témoin d’un autre glissement de terrain ? De professionnel, le regard était devenu, un quart de seconde, pensif à part soi, gourmand sans excès, vagabond dans les cils. Elle avait eu un sourire venu de loin. Même cognement sourd dans la poitrine qu’à vingt ans, lorsqu’on sent le désir d’une plus âgée, même impression que le monde qui vous entoure n’est plus semblable à celui de la minute d’avant, même réflexe de coq : croire que les épaules séduisent, alors que c’est juste au-dessus, cette jonction que vous avez, fragile, déliée, entre le cou et la salière. Et même stupéfaction de constater que ce geste enfantin, s’élargir la carrure, a provoqué un attrait supplémentaire -cependant pas dans le sens où vous croyez.
Holà ! Qu’est-ce qui me saisit ? Je prends quarante, il reste vingt, et Crown of creation, sur l’album homonyme, c’était vraiment la meilleure chanson du Jefferson ; fallait en avoir pour savoir ça ; fallait avoir bourlingué. Et puis Nelly ! D’où ça sortait, « Nelly » ? Tout de suite, comme ça, dans l’absurde, en songeant aux Nelly, on voyait des femmes discrètement belles, sans tapage, du moins jusqu’après l’adolescence. Avec la trentaine leur venait une effronterie comme un penchant, une inclination traduite par des rougeurs. On devait ajouter dix ans de plus pour voir enfin aboutir une créature pour qui l’âge mûr semblait fait. Aucune inadvertance. Un rire profond servait d’appel. D’autres étaient inscrits au programme, de part et d’autre, il n’était pas question de connaître les larmes.
Mmh, les doigts de Nelly… C’est vrai que je suis beau sous les doigts de Nelly. J’ai une tache claire au front. Revient en mémoire le souvenir de cette grande dame qui était encore capable, septuagénaire, de susurrer à l’oreille des plus choisis des spécimens qu’elle les aurait croqués, une génération auparavant. Monte l’envie de demander, avec la belle franchise que confère un réel intérêt :

 Ça va, les gars ?

Nelly Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°41 , novembre 2002.