La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Arts et lettres Madame B.

novembre 2002 | Le Matricule des Anges n°41 | par Emmanuel Laugier

Cent dix photographies autour de Madame Bovary, précédées de douze pages sur Flaubert de Pierre Michon, tel est le Bovary de Madgi Senadji. Un sublime dispositif de lecture.

La prose de Flaubert est une ligne tendue. Mais elle est plissée de tous côtés, comme Emma Bovary l’est par ses propres désirs. Suivre sa phrase, c’est emboîter le pas de ses ondulations et voir comment se multiplient les étagements de ses mondes. Il en va de même dans ce livre, sobrement titré Bovary : Madgi Senadji réfléchit en images dans les marges de Madame Bovary ; Michon, lui, propose avec Corps de bois sa rêverie de Flaubert, l’imagine lorsqu’il termine la première partie du célèbre roman. Le jour se lève, le moustachu un peu clown est heureux. Puis il l’habille, lui cède femme et éducation, pour, plus loin, tout retirer à cette tête en bois vieux avant l’heure : « (…) pas de pommes dans les pommiers de Normandie, pas d’arbres profonds dans les forêts, pas de Louise Colet délacée, pas de lilas, pas de rires jeunes, ni de pleurs de Louise Colet à sa porte, tout cela il s’en foutait, il en riait et s’en foutait, il en pleurait et s’en foutait, il n’était pas là. Il n’avait rien en effet, il était privé de tout, puisque c’était dans sa tête ». C’est le drame de Flaubert et la chance de la littérature, son ironie, que d’inventer son absolu. « On est abstrait et intangible, comme la prose absolue. On est en bois », ajoute Michon.
Il faudra donc entrer dans ce nœud-là pour suivre les ramifications de Bovary, ce que Madgi Senadji, auteur d’une dizaine d’ouvrages-sur Prague et Gombrowicz notamment- propose magnifiquement. Ses photographies ne manquent pas de réfléchir par analogie la structure du livre de Flaubert, mais en des rapports souterrains, brusqués, éloignés d’un simple trajet linéaire. Ainsi, c’est une tapisserie florale, mauve teintée de vert bouteille, cadrée en oblique, sur laquelle se détache un tableau campagnard de trois vaches, et là trois pages de manuscrit de Flaubert ; ici un tronc d’arbre brun-noir mange tout l’espace du cadre et fait écho, plus loin, à deux croupes de chevaux collés flanc contre flanc, là un pied difforme et le dessin d’un pied-bot par Flaubert lui-même : c’est Polyte, le valet de chambre de l’hôtel du Lion d’Or. Il y a aussi la croupe d’une jument : masse de marron doux fendue en deux par un trait noir épais, fente lisse, presque tannée, d’un bout à l’autre tombée, ornée au plus haut d’une petite queue tressée en chignon. Elle apparaît comme l’emblème puissant de tous les plissements que ce livre fait grésiller à la face du lecteur. Mais elle est aussi ce cul de cheval que l’aveugle chantant à la sortie de Rouen ne voit pas. Cette croupe, c’est également le portrait d’Emma Bovary, une femme perdue, rêveuse, romantique, spontanée, pleine de passion comme une cruche de lait est encore épaisse de crème.
Les images que Senadji donne à voir forment ainsi une bobine infinie dont on tirera les fils à volonté. Utilisant tout aussi bien la photographie de tableaux (Manet, Courbet…) que celle de plans tirés des adaptations cinématographiques du livre, l’archive et le sujet naturaliste, sa force vient de la vitesse avec laquelle il entrecroise les sujets. Senadji, par ce livre, aura dressé et concentré en une obsession sublime ce qui, en une série d’images, manquera toujours de Madame Bovary. Le col d’un lys blanc termine le livre et ne dit rien. À nous d’y voir.

Bovary
Magdi Senadji/Pierre Michon
Marval
117 pages, 55

Madame B. Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°41 , novembre 2002.
LMDA PDF n°41
4,00