Lisons attentivement, lentement, délicatement, dégustons ces six nouvelles de Dimitri T. Analis : c’est ainsi que nous en découvrirons les reflets et diaprures -de la fantaisie discrète à la secrète nostalgie. Chacune poursuit un but différent et parvient pourtant à construire un univers exactement cerné, maîtrisé -L’Autre Royaume étant celui de l’imaginaire profus, se jouant du temps et de l’espace. La plus longue de ces nouvelles, « Des ailes trop grandes », nous offre ainsi, à l’image de ce que Michon a pu tenter dans certains de ses récits, une sorte d’autobiographie rêvée, recomposée et sensible, du Greco, de sa Crète natale à la neige de Tolède. C’est une découverte progressive de la beauté, et des moyens de s’en approcher : il lui faudra renier l’orthodoxie, « religion de solitude et de déchéance » -mais également passer outre la splendeur vénitienne et son « obsession du drapé ». C’est au terme de son itinéraire -spatial et spirituel- qu’il apprendra que « la boue de ce monde, qui un jour nous avalera tous, était pétrie de lumière ».
Un autre exilé grec, dans « L’Habit vide », commettra une démesure à sa mesure -il est tailleur !- en devenant l’associé d’une des maisons les plus célèbres de Saville Row. Il subira alors la suspicion et l’envie ; mais peu lui importe, il taille pour Sir Francis Fowler une cape mystique : « la cape n’enveloppait pas les épaules du vieux général, elle le soulevait, le hissait au-dessus du plancher (…) Sir Francis leva le regard vers la grande psyché et vit un disque blanc et lumineux briller au-dessus de sa tête. » Nous attendent également « Le Peintre-apprenti-du-temps » dont l’Empereur accepte d’attendre l’œuvre jusqu’à sa mort -ou encore le surréaliste Delvaux, qui, confronté à la fatuité télévisuelle d’un interviewer, devient peu à peu transparent ! Plus mélancolique, « Celia ou The Golden sixties », clôt le recueil sur l’esquisse d’une sirène inaccessible, un autre « être de fuite ».
L’Autre Royaume
Dimitri T. Analis
La Différence
155 pages, 15 €
Domaine français Les rives de l’errance
mars 2003 | Le Matricule des Anges n°43
| par
Thierry Cecille
Un livre
Les rives de l’errance
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°43
, mars 2003.