Se retirer dans son texte, au plus profond, là où il n’est rien à voir, où les mots se fondent les uns dans les autres, où les phrases glissent, ne sont plus même des phrases, juste des mots pris dans des phrases qu’on n’aurait pas écrites, échappant à toute saisie, comme disparaissant sous nos yeux. Dans ce livre-lit, en cette première tentative d’écriture poétique, Vincent Sabatier a pris le partir d’emprunter sa matière au Séminaire, Livre XX de Jacques Lacan et à La Mer de Jules Michelet. Le résultat est médusant. Tel Persée face à Méduse, le lecteur se retrouve face à l’informe fascinant de ce qui ne se laisse pas facilement réduire : ondes de phrases mouvantes, enlacements des textes mélangés, fusionnés, devenus matière incertaine de nos fantasmes, mots pétris, amollis comme une chair flottante. Un exemple : « ce glissement dans un autre discours, d’être simplement celui où s’est inscrit, hors jeu de tout discours, coulant latéralement en sens opposés, la pulsation alternative du mouvement de va et vient qui cogne et concorde à mon intérieur court mouvement de corps. »
Le livre est lit en ce que le corps s’y livre jusqu’à l’aveuglement, face à ce qui ne se laisse voir qu’en une incarnation souterraine, des humeurs, des zones d’ombre, lisse du sexe et sa béance. Le fond de la mer est ce sur quoi le texte tend à ne pas voyager, mais à se laisser engloutir.
Cette fine recomposition, ce minutieux tissage mérite l’attention, pour ses troublants effets de brouillage du sens, de suspens de la signification en ces dérives, ces flottements. Reste qu’une certaine préciosité gêne peut-être parfois, et peut-être aussi des effets trop appuyés, trop conscients, notamment dans des allusions trop directes sans doute à une possible lisibilité psychanalytique.
Jacques Lacan Jules Michelet
Dans ce livre-lit
Vincent Sabatier
Le Bleu du ciel
119 pages, 15 €
Poésie Marée haute
mars 2003 | Le Matricule des Anges n°43
| par
Xavier Person
Un livre
Marée haute
Par
Xavier Person
Le Matricule des Anges n°43
, mars 2003.