Nioques 1.9/2.0
Dès 1996, date de sa fondation par Jean-Marie Gleize et Michel Crozatier, Nioques, néologisme créé par Ponge, a confronté son lectorat aux formes les plus radicales de la modernité, aussi bien littéraire que plasticienne. Elle a ainsi proposé, à raison de deux numéros par an (exception faite des années blanches), une moisson d’écrivains inscrits dans ce que l’on a coutume de nommer l’avant-garde, à défaut d’une terminologie plus précise.
Cette double livraison collige les interventions de trois plasticiens et d’une vingtaine d’auteurs, chacun œuvrant dans ce nouvel espace d’indécision littéraire situé à mi-chemin entre la prose et la poésie.
Le procédé est désormais courant : nombre d’éditeurs utilisent leur revue comme une vitrine de leur propre maison d’édition. Nioques n’échappe pas à la règle, présentant volontiers des auteurs d’Al Dante, tel Jérôme Gontier, dont le texte décline les unes après les autres les informations contenues sur ses cartes d’identité, d’électeur, d’ancien étudiant, ou sur le contrat d’assurance de sa voiture, avec une exhaustivité qui peut faire rire ou agacer ; ou Véronique Pittolo, qui signe ici un fort beau texte, extrait de Gary Cooper ne lisait pas de livres, annoncé à paraître en début 2004 dans une écriture aussi intense qu’épurée, elle esquisse les portraits de quelques stars hollywoodiennes (Robert Mitchum, Liz Taylor), perforés par des phrases à la Virginia Woolf : « Les fleurs semblent louées pour une scène d’amour ».
On y retrouve aussi quelques habitués, notamment Hubert Lucot, qui confie « plusieurs niveaux d’une même écriture », ou plusieurs états de son travail en cours, provisoirement intitulé Opérateur le néant. Qu’il s’agisse de paragraphes peu écrits ou au contraire très travaillés, ces extraits entraînent de nouveau les lecteurs dans son histoire privée, intime, voire intimiste, ici très peu percutée par l’actualité la plus brûlante, au gré de phrases toujours aussi séduisantes : « Une MAIN se posa, il y a deux ans, sur l’épaule d’A.M. dans la halle aux fruits et prononça la mort prochaine d’un ami, la lumière crée une chaînette d’enchaînements dans l’Italie des lacs. »
Comme dans toute bonne revue, ce sont des textes de qualité inégale qui se partagent le reste du sommaire, intrigants et puissants comme celui d’Isabella Santacroce, épuisants à lire (Marie-Céline Siffert et ses caractères gras condensés), franchement sexe (Le petit chaperon rouge corrigé façon porno par Serge Gavronski) ou désopilants, à l’image du Petit atlas urbain illustré d’Yves Buraud. Mais quelle que soit la qualité de ces textes, on sent dans tout cela une volonté de défendre des tentatives qui s’inscrivent dans les marges des genres canonisés par l’époque, et qui ont le mérite de vouloir bousculer les certitudes littéraires. Donc une entreprise résolument militante.
* Nioques 1.9/2.0 368 pages (+ 1 CD), 28 €
(27, rue de Paris, 93230 Romainville)