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Domaine étranger Haute solitude

novembre 2003 | Le Matricule des Anges n°48 | par Thierry Cecille

Dans le Berlin gris des années 20, l’expérience de la perte et de la déréliction, la tragédie d’une mère privée d’enfant.

Certains textes acquièrent une sorte de valeur testamentaire, s’entourent d’une aura éclatante, mystérieuse ou tragique, du fait de l’existence de leur auteur, ou des aléas de leur propre destin éditorial. C’est ici le cas : Gertrud Kolmar, née en 1894 dans une famille de la bourgeoisie juive assimilée de Berlin, mourra à Auschwitz en 1943. Hormis quelques poèmes, son œuvre demeurera inédite jusque dans les années 60. Ce roman, écrit en 1930-31, nous parvient donc après plus de soixante-dix ans, il lui a fallu en quelque sorte traverser le siècle, vaincre la Shoah, mais aussi l’indifférence et l’oubli. Comment ne pas le lire en ayant à l’esprit ce que sera, comme un post-scriptum fatal, l’assassinat de son auteur ? Fixons plutôt ce visage de Gertrud Kolmar qui illustre la couverture de cette remarquable édition : juvénile mais farouche, tendue, comme concentrée sur une interrogation intérieure, pressante, que la fixité du regard tenterait de nous transmettre. C’est une semblable force intime, une révolte la plupart du temps contenue, l’énergie vitale propre aux désespérés ceux qui ne daignent plus espérer qui parcourt ce texte.
Une mère vit avec sa fille dans une banlieue de Berlin, elle est veuve, photographe. Elle adore son enfant mais se sait incapable de débordements de tendresse, ou même de cajoleries : déjà, elle en est consciente, elle aime à sa manière. La fille disparaît un soir la mère la retrouvera vivante, mais souillée, violée, en proie à l’avancée de la folie. Elle préférera la mettre à mort, en l’empoisonnant. Elle devra survivre à cet acte, s’accrochera quelque temps au désir de vengeance, se donnera, dans cet objectif, à un homme, auquel pourtant son corps s’ouvrira. Mais il la quittera et la mort, seule, à nouveau, s’offrira à elle.
Il faut sans doute saluer ici la qualité du travail du traducteur : qu’il s’agisse des descriptions ou des dialogues, ou encore du jeu des voix narratives, l’écriture est constamment tenue, d’une précision remarquable, sans effet inutile. Gertrud Kolmar a à sa disposition une palette qui pourrait sembler réduite, mais qu’elle maîtrise parfaitement : elle allie un naturalisme efficace à une sorte de symbolisme discret, énigmatique. Le paysage urbain est précisément décrit (peut-être doit-on relever ici l’influence du Rilke des Cahiers de Malte Laurids Brigge) : les rues solitaires, désertées au crépuscule, de la banlieue, les arbres dénudés dans la grisaille automnale, l’indifférence des passants sur le Kurfurstendamm, un dancing où elle croise d’incompréhensibles travestis. Elle fait, dans ce décor terne et minéral, l’expérience d’une solitude inexpugnable, et demeure, à nos yeux, une énigme : aboulie, indifférence au monde, froideur, ou au contraire, violence intérieure, sensualité refoulée on ne sait ce qui vit en elle. Juive, oui, « elle a tout l’air d’appartenir à l’Ancien testament », et c’est avec une sorte d’ironie tragique qu’elle découvrira chez l’homme qu’elle désire et qui la refuse, une brochure nazie : « il s’y trouvait ce qu’elle recherchait ». Mais, plus encore, figure mythique, archaïque : elle a la beauté d’une « Niobé de pierre » et la stature d’une Médée, à l’ardeur secrète, aux passions dissimulées, avec dans ses yeux « un feu inquiétant et noir » celui qui peut-être brûlait dans le regard de Gertrud Kolmar avant que d’autres flammes ne la réduisent en cendres…

La MÈre juive
Gertrud Kolmar
Traduit de l’allemand
par Claude-Nicolas Grimbert
Farrago/Léo Scheer
246 pages, 18

Haute solitude Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°48 , novembre 2003.