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Théâtre La béance humaine

novembre 2003 | Le Matricule des Anges n°48 | par Laurence Cazaux

Un théâtre troué, un théâtre ventre, sexe, chair pour se laisser traverser par le monde : Pauline Sales utilise la langue du corps, pour dire nos violences et nos cauchemars.

En 2000, Les Solitaires Intempestifs publient une première pièce de Pauline Sales, La Bosse. Après un empoisonnement involontaire des spermatozoïdes par vaccination contre la grippe verte, les femmes enfantent des monstres. Les autorités militaires en profitent pour déclencher une guerre bactériologique d’un nouveau genre, plus de bombe, tout commence dans le ventre même des femmes. Puis l’éditeur fait paraître Dépannage, ensuite Cake, où la violence d’un inceste se mêle à la violence d’un affrontement de classes sociales. Enfin dernière parution cet été, Le Groenland, un monologue de femme, adressé à une petite fille. Une nuit, une mère décide de ne pas rentrer chez elle, de partir pour le Groenland et peut-être même d’abandonner sa fille. L’univers de la dramaturge est puissant, proche parfois du cauchemar. Pauline Sales développe une manière de se laisser contaminer par des histoires ou des visions tout à fait étonnantes.
La rencontre se fait chez elle, à Valence. La jeune femme déborde de vie et d’activités. La parole est chaleureuse d’emblée, pudique parfois, entrecoupée de silences et de grands éclats de rire.

Vous êtes à la fois comédienne et dramaturge. Avez-vous toujours associé les deux démarches ?
J’écrivais beaucoup enfant. Le monde des histoires me fascine. J’ai voulu très vite être comédienne car j’ai longtemps pensé que c’était la meilleure façon d’être dans les histoires. Les raconter, c’était déjà trop s’en éloigner. Il me fallait être un personnage pour pouvoir vivre cet autre monde. J’ai donc pris des cours de théâtre assez tôt, à 14 ans. J’ai continué jusqu’au bac, puis j’ai présenté le concours pour entrer à l’école du TNS, j’ai été reçue, j’avais alors 19 ans.
À partir du moment où j’ai voulu être comédienne, j’ai arrêté d’écrire, je ne pensais pas pouvoir bien mener les deux activités. Pourtant il y a un endroit que le jeu n’a pas entièrement nourri. Pour passer à l’âge adulte, j’ai eu l’impression que je devais cesser d’être seulement dans le désir d’autrui. Une comédienne doit être désirée pour pouvoir jouer. Et cette dépendance-là m’infantilisait trop. Je devais réaliser quelque chose seule, du coup je me suis remise à écrire. Comme j’étais la reine des textes inachevés, je me suis inscrite à la faculté de Censier. J’ai pris seulement deux cours avec Jean-Pierre Sarrazac car j’ai été contactée par Philippe Delaigue pour jouer dans La Vie de Galilée de Bertold Brecht. Mais le pli était pris et j’ai terminé ma première pièce. (Dépannage, ndlr)

Comment cohabitent maintenant la comédienne et l’écrivain ?
Je n’ai plus le même rapport au jeu. Je peux accepter les aventures dont j’ai envie et je subis moins cette chose tellement fatigante dans le fait d’être comédienne, instrumentalisée. J’engage peut-être moins de choses comme actrice ou alors j’y engage quelque chose de plus juste. C’est devenu plus simple de jouer et donc encore plus agréable. Et puis, l’écriture n’engage pas le corps de la même façon et je trouve ça toujours aussi magnifique d’être sur scène.

Quel est le déclencheur de votre écriture ?
J’ai toujours l’impression que c’est l’acte même d’écrire qui me fait écrire, très concrètement. Entre ce que j’imagine au départ écrire et le résultat final, il y a toujours un énorme décalage. Après coup je me dis, ah, c’était ça que tu voulais écrire.

Entre votre première pièce publiée La Bosse et la dernière Le Groenland, la manière d’écrire a énormément bougé.
Ce n’est pas un enjeu pour moi d’écrire des choses très différentes mais c’est pourtant le cas. Certaines obsessions reviennent dans toutes mes pièces. Les femmes ne sont pas entièrement satisfaites dans mon théâtre. (rire) Elles sont soit enceintes, soit enfants. Une femme insatisfaite avec un enfant quelque part se promène souvent dans mes textes mais dans des styles très différents.

Vos obsessions tournent autour du ventre et du sexe des femmes, en abordant des sujets comme l’inceste, le viol ou encore la mise au monde de monstres.
Au début, il y avait quelque chose de plus démonstratif à cet endroit-là, comme dans La Bosse où c’était vraiment accepter de dire cette violence. J’avais découvert Edward Bond entre-temps, ce n’est pas innocent. J’ai envie de regarder là où ça fait mal, où ça n’est pas joli, là où on se ment.

Ces obsessions se traduisent par des images, des visions ?
Oui, ça marche vraiment comme ça. Par exemple pour La Bosse, dans un reportage très tard le soir, une femme disait que les enfants naissaient sans nez. Je me suis emparée de ça. Je n’ai pas cherché à retrouver le documentaire. Dans ce cas-là j’ai l’impression d’être comme un enfant qui se laisse contaminer par des bribes et oublie ce qu’un adulte jugerait comme le plus important, c’est-à-dire la réalité des faits : où, quand, comment. Tout à coup, je mange de manière imaginative et intuitive. C’est comme cela, me semble-t-il, que je peux être juste et atteindre les autres.

C’est pourquoi vos pièces ont parfois la cruauté des contes ?
Complètement. Je me rends compte de plus en plus à quel point je suis bête quand j’écris, mais tant pis, et puis ça va peut-être changer.

Qu’entendez-vous par être bête ?
Une certaine forme d’intelligence est en jeu, mes textes sont très construits, c’est comme un intellect latent. (rire) Par exemple pour La Bosse, je me suis laissée envahir par le cauchemar. Même si je reste toujours très concrète, il n’y a pas de soucis là-dessus. Cet état d’écriture est presque un état d’écoute, de recevoir.

Il y a une grande part d’animalité chez vos personnages qui se comportent ou ont des surnoms d’animaux.
Je veux que mes personnages aient une parole très brute, pas marquée socialement. J’ai envie d’une langue crue, d’une langue du corps. J’aime l’idée de travailler la langue comme un poème, qu’elle soit mâchée. J’aime les trous dans les dialogues. Un texte de théâtre est troué. Il faut laisser de l’espace entre les répliques. Le roman dit tout. Au théâtre, les trous permettent de raccourcir le chemin.

Vous êtes auteur associé et dramaturge à la Comédie de Valence, Centre Dramatique National Drôme-Ardèche. En quoi cela consiste-t-il ?
Je dirige le comité de lecture où sont lus tous les textes reçus par la Comédie. Je suis présente comme dramaturge à chaque nouvelle création. Je commande les levers de rideaux. Je discute de mes choix avec les deux directeurs, Philippe Delaigue et Christophe Perton, mais je reste très libre. Ces levers de rideau sont des pièces courtes, répétées sur deux ou trois jours seulement, pour des raisons économiques, pour être jouées devant un public. En tant qu’auteur, je préfère cette formule à une lecture, car même si c’est court, on tente l’aventure du théâtre.
En mai 2004, La Comédie propose un projet Cartel autour des écritures contemporaines. Quatre metteurs en scène hommes monteront quatre écritures féminines (Annie Zadek, Marion Aubert, Marie N’Diaye et Pauline Sales, ndlr) avec les comédiens de la troupe permanente. La thématique commune reliant les écritures est celle de nos fantômes. J’ai donc de multiples casquettes, c’est très prenant.

Vous n’aimez pas les lectures ?
Des manifestations comme La Mousson d’été aident énormément les auteurs. Mais pour moi, seule l’épreuve du plateau justifie qu’un texte est théâtral. Même l’édition, ça ne me suffit pas… J’ai soif d’être jouée. Il me semble que c’est de cette manière-là que mon écriture pourra évoluer de manière intéressante et progresser.

Une autre de vos pièces, Le Groenland, va être jouée le 8 janvier prochain au théâtre du Tulle et c’est vous qui serez sur scène. Est-ce là aussi une manière de tester votre écriture au plateau ?
Avec Marie-Pierre Besanger, la metteur en scène du Bottom Théâtre, nous avons fait une lecture ensemble et l’aventure nous a semblé possible. Je n’ai pas l’impression d’être impudique mais, de manière technique et concrète, de connaître la musique. Ça va être très étrange. Ayant écrit le texte et l’interprétant, je vais avoir envie de revendiquer ce spectacle. En même temps, je veux laisser la place aux autres créateurs, à la mise en scène, la lumière, le costume… C’est ça l’enjeu, que ce soit partagé.

Le théâtre Le Royal Court à Londres vous a passé commande d’une pièce Il aurait suffi que tu sois mon frère. Comment la rencontre s’est-elle passée ?
Le comité de lecture du théâtre de la Colline à Paris a assez vite soutenu ce que j’écrivais, en faisant circuler mes textes en Angleterre et en Allemagne. Du coup, Le Royal Court m’a invitée à une résidence internationale d’écriture. Pendant deux, trois jours, des acteurs écossais ont travaillé sur Cake, la pièce que j’étais en train d’écrire. D’habitude, c’est plutôt violent et un peu impudique d’entendre ses propres mots, mais en anglais ça devenait très agréable, comme dans un rêve. J’avais en même temps le sentiment que ces comédiens comprenaient très exactement l’endroit de mon écriture. Ensuite, Le Royal Court a commandé des courtes pièces à plusieurs écrivains sur le thème de la violation des droits de l’homme. Il aurait suffi que tu sois mon frère a été traduit par Martin Crimp et Cake par Gregory Motton, j’ai eu beaucoup de chance.

Qu’est-ce que ça signifie « bien entendre votre écriture » ?
Ne pas se tromper sur cette espèce de faux naturalisme. Les Anglais ont bien senti ce décalage et l’ont mis en valeur.

Il aurait suffi que tu sois mon frère relate une entrevue au parloir d’une prison entre une jeune fille, Aïcha et son agresseur, qui lui a fait subir un viol au cours d’une tournante. La pièce semble en effet très naturaliste et pourtant les deux jeunes gens ne pourraient pas s’exprimer comme vous les faites parler.
C’est la première fois que je devais m’emparer d’un vrai sujet de société. Jusqu’à présent ce n’était pas du tout ma manière d’écrire. Alors je me suis bien documentée. Pour les Anglais, les Français sont trop littéraires, absolument pas concrets. Et au final, mon texte ne leur semble pas encore assez naturaliste. (rire) Pour moi, les personnages sont le contraire de stéréotypes. Chacun est immense. Bien sûr que les vrais adolescents ne dialoguent pas comme ça. Mais quelque chose en eux peut parler comme ça, et c’est cette chose-là qui m’intéresse, leur donner vraiment le jeu de la langue et la possibilité d’échanger de manière pointue avec la langue. Chacun de nous a tout, peut faire le chemin de tout connaître.

Quelle est pour vous la nécessité du théâtre ?
L’art est nécessaire. La parole est nécessaire et l’imaginaire de cette parole. Le théâtre, c’est le contraire de l’identification. Au théâtre, le spectateur peut penser en même temps qu’il regarde. Le théâtre ne brise pas la pensée. Le cinéma la brise un moment. J’ai écrit un scénario pour un réalisateur africain. C’était très intéressant. Mais l’utilité des mots au cinéma ne me frappe pas comme au théâtre.

Le Groenland
Pauline Sales
Les Solitaires Intempestifs
54 pages, 9

La béance humaine Par Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°48 , novembre 2003.
LMDA PDF n°48
4,00