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Poésie Le monde selon « A »

novembre 2003 | Le Matricule des Anges n°48 | par Emmanuel Laugier

Le livre-vie du poète américain Louis Zukofsky est aujourd’hui pour moitié traduit. Plongée de langue dans une matière vivante.

A » (section 12)

D’un livre titré sobrement « A », on peut penser à juste titre qu’il a un rapport avec l’idée du commencement du langage, à l’origine d’une chose, à la totalité possible d’un monde. Louis Zukofsky, fils d’immigré juif russe, né en 1904, en fera la lettre seule d’un unique livre qui s’étend sur plus de cinquante ans (il meurt en 1978). Il en forme le projet très tôt, en 1928, dans une lettre adressée à son ami Erza Pound. Il expose « A » et lui projette 24 sections, 24 fugues pourrait-on dire, tant cette forme, pensée avec Bach (sa référence) est centrale à ce long poème de 800 pages. De cette épopée, le lecteur français n’avait accès qu’aux sections 1 à 11 (deux volumes chez Virgile/Ulysse Fin de Siècle, 1994/2001). Avec la traduction de ce 12e mouvement, c’est encore à la puissance musicale du poème que Zukofski revient à nouveau.
Mais ce n’est pas la seule gageure à laquelle se confronte l’un des fondateurs (nous sommes dans les années 30) du groupe dit « objectiviste » (en compagnie de Charles Reznikoff, George Oppen, Carl Rakosi). Si le groupe entend s’opposer à l’héritage symboliste de la poésie anglo-américaine et réinventer un autre rapport de la langue au monde immédiat qui les entoure (industrialisation, urbanisation), Louis Zukofsky complexifie davantage les choses en multipliant et croisant les références. « A » devient le corps polyphonique et contradictoire d’une autobiographie à laquelle se mêlent les événements de l’histoire américaine (Corée, Vietnam) et du monde (comme Paris sous l’occupation nazie « Pétain vaut pas un pet/ Hitler éructe comme un porc »). La réflextion politique est engagée dans le poème par la voix de Marx ; la mémoire de l’enfance s’y immisce constamment (Zukofsky évoque les pièces de Ibsen, Tolstoï et Strindberg vues au Yiddish Theater). Le yiddish, sa première langue, ne sera pas d’ailleurs abandonné, malgré une assimilation complète à la culture américaine. Il ne cesse d’en rappeler la présence, à tous les niveaux de « l’épaisseur de son projet épique », même lorsqu’il s’agit ironiquement de décrire l’antisémitisme des nazis : « Herr Führer et Heil la patrie !/ On judéodle l’arbre juif !/ ça se passe ici comme à l’école juive/ (Sic, maison des fous) en Allemagne…/ Si tu me loges mon juif, je l’abatterai ». Tout un réseau complexe de glissements très fins, d’une langue dans l’autre, se faufile dans « A ». Le projet est monumental, totalisant, « A » le centralise par sa volonté « de s’emparer du monde polymorphe, de le penser comme structure indéterminée dans sa totalité, mais précise » (Serge Gavronsky).
« A »-12 est sans doute la section le plus longue (elle s’étale sur plus de 160 pages). La figure du cheval en est le motif récurrent. On pense au battement des pieds du vers, à la force du travail, à l’Amérique pour qui cet animal fut le partenaire et l’objet d’exploitation, la monture de sa conquête. On pense à la figure sacrifiée de la bête, à son hennissement. Ce sera la mélancolie finale de ce livre, dont l’émouvant dialogue avec l’ouvrier Jackie, alors mobilisé au Japon (« Alors au tin où von les choses, je serai à la maison avant longtemps »), ainsi que celui avec son fils Paul : « Regarde, Paul,/ Où m’ont amené/ les chevaux de A-7. /(…) La première fois chez l’imprimeur/ Sous le galop des crinières/ S’échappent les Feuilles d’Herbe/(…)/ Un cheval rouge/ Parmi la myrthe,/ Et derrière lui/ Des chevaux rouges,/ Pommelés, et blancs ». Une voix incontournable, comparable aux Cantos de Pound, et un travail éditorial superbe que l’on espère être mené jusqu’au bout.

« A » (section 12)
Louis Zukofsky
Traduit par Serge Gavronsky
et François Dominique
Éd. Virgile, « Ulysse Fin de Siècle »
168 pages, 18

Le monde selon « A » Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°48 , novembre 2003.