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Domaine étranger L’avenir radieux

mai 2004 | Le Matricule des Anges n°53 | par Thierry Cecille

Comment un ingénieur hydraulique hollandais, en quête d’une autre mer d’Aral fantomatique, ressuscite les thuriféraires de la construction à marche forcée du communisme….

C’est à un double voyage que ce récit nous convie : Frank Westerman, partant sur les traces d’une gloire aujourd’hui négligée du défunt réalisme socialiste, nous conduira, d’un même mouvement et d’un pas assuré, vers l’énigmatique baie de Kara-Bogaz, aux confins de l’actuel Turkménistan devenu indépendant, et vers un autre continent englouti, celui des écrivains que Lénine puis Staline plus encore embrigadèrent au service de la révolution bolchevique.
Après quelques années d’hésitation et d’exil doré à Sorrente, Gorki, qui avait pourtant traité Lénine et Trotski d’ « incendiaires en train de mener une cruelle expérience avec le peuple russe », regagne l’Union soviétique difficile, en effet, d’échapper à l’attrait de tirages disproportionnés et aux sirènes de l’immortalité : Nijni Novgorod désormais s’appellera Gorki ! Il va prendre la tête de la reprise en main de la littérature qu’envisage Staline : plus question de l’esthétisme des acméistes ou du formalisme des futuristes, Blok et Maïakovski sont morts et, en 1932, Staline déclare : « le contenu social de notre littérature doit être amené à un plan plus élevé » puis, en une véritable envolée lyrique : « l’homme est transformé par la vie, et vous devez aider à la transformation de son âme. C’est important, la production d’âmes humaines (…) écrivains, vous êtes les ingénieurs de l’âme. » Dès lors, un triple mouvement s’accomplit : les principales décisions concernant le développement économique seront relayées, mises en récit par la littérature (et mises en image par le cinéma), alors qu’elles s’accompagneront de la mise en place, parallèle et nécessaire, de l’exploitation d’une masse toujours grossissante d’« ennemis du peuple ». Ainsi Gorki dirige-t-il, en 1933, le voyage de cent vingt écrivains soviétiques vers le goulag, plus précisément les camps de concentration qui permettent la construction du canal de Biélomor, entre Léningrad et la mer Blanche : ils en rapporteront un ouvrage collectif, éloge de cette « perle du Premier Plan Quinquennal ». En fait, rappelle Westerman, « dans un tempo enragé vingt mois cette route fluviale de 227 kilomètres avait été creusée manuellement par 126 000 forçats » ! De même, la mise en place du concept de littérature prolétarienne ( le congrès de Kharkov, auquel Aragon se rendra, est dirigé par Jdanov en 1930, et les écrivains qui tentent malgré tout de résister, tels Pilniak ou Platonov sont réduits au silence) aura lieu en parallèle à la dékoulakisation (est considéré comme koulak tout paysan qui possède plus de deux vaches ou un toit en zinc !), à la sédentarisation des nomades, et à d’autres projets pharaoniques, tel celui de détourner « l’eau du Nord » vers le Sud (« les fleuves soviétiques couleront/ là où les bolcheviques le rêveront » chante-t-on alors).
Westerman s’intéresse plus précisément à un de ces projets et à un de ces écrivains prolétariens : Konstantin Paoustovski publie, en 1932, Le Golfe de Kara-Bogaz, décrivant une véritable entreprise de « liquidation des déserts ». Sur ses pas, nous rencontrerons alors des témoins émouvants, des acteurs de cette période, telle Amansoltan Saparova, « enfant de nomades turkmènes, née dans une kibitka, une tente en peau de bête » devenue « historienne de la chimie », ou le professeur Babaïev, énigmatique directeur d’un « Institut du Désert » sorti tout droit de l’imagination d’un Kadaré ! Nous découvrirons également ce qu’il reste des datchas réservées jadis aux écrivains bien en cour, la « cerisaie de Staline », à l’ouest de Moscou, ou le Turkménistan appauvri du camarade Niazov, devenu « Turkmenbashi », « chef des Turkmènes », nouveau potentat oriental. Car nous trouvons enfin, dans ce livre si riche, une véritable réflexion sur le pouvoir, sur cette sorte d’invariant historique que constitue l’alliance de la tyrannie et des projets démesurés de contrôle des forces naturelles que les écrivains, propagandistes zélés ou asservis, n’ont plus qu’à chanter.

Ingénieurs de l’âme
Frank Westerman
Traduit du néerlandais
par Danielle Losman
Christian Bourgois
344 pages, 25

L’avenir radieux Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°53 , mai 2004.
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