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Domaine étranger Vie sans issue

juin 2004 | Le Matricule des Anges n°54 | par Benoît Broyart

Bi Feiyu suit un homme aux prises avec l’histoire d’une Chine qui l’étouffe. Un roman aussi court que percutant.

De la barbe à papa un jour de pluie

C’est un texte qu’on lit d’un trait, un genre de concentré narratif à la fois dense et fulgurant qu’on ne peut s’empêcher d’engloutir. Deux heures, pas plus, pour balayer la courte vie de Hongdou, jeune homme condamné à une existence emplie de douleur, mort prématurément à 28 ans pour cause d’inadaptation à l’existence qui lui était réservée ; hors de question qu’il puisse s’en éloigner, de toute façon. Deux heures suffisent à générer une large empreinte dans l’esprit du lecteur. De la barbe à papa un jour de pluie est de ces romans qui laissent des marques parce qu’ils sont fins et coupants comme une lame ; sans concession.
Comment vivre sans être à sa place, sans espoir de la trouver jamais ? Tel est le problème insoluble auquel Hongdou est confronté. Comment survivre lorsque le père est un héros de la guerre de Corée et qu’il serait bon de faire ses preuves, une fois envoyé sur le front sino-vietnamien en 1979 ? Trop de poids venus de toutes parts appuient sur les épaules de Hongdou. La société chinoise dans laquelle il évolue possède en effet des codes familiaux, sociaux et traditionnels écrasants. Il n’y a pas d’issue possible pour qui voudrait s’y soustraire.
Le spectre de ce court roman traverse de très nombreux champs qui sont loin d’être consensuels. Aussi, on ne sera pas étonné d’apprendre que De la barbe à papa un jour de pluie a paru amputé de certaines scènes en Chine en 1994. Né en 1964, Bi Feiyu est déjà l’auteur de nombreuses nouvelles et de plusieurs romans. Il a enseigné et exerce aujourd’hui la profession de journaliste dans son pays.
Soutenue par des images fortes et très originales « Son reflet était couché au fond du miroir, pareil à un tampon sale qu’une femme mariée aurait abandonné n’importe où », « Ma tête était comme un petit pain à la vapeur qu’on a trempé dans l’eau : mon cuir chevelu se dilatait en même temps que mes pensées et mes sensations, et mon crâne était si enflé qu’il était sur le point de se détacher de moi », l’écriture de Bi Feiyu réussit le pari de résister entre réserve et impudeur, silence et horreur ; celle de la guerre, entre autres.
Chaque mot est compté. Aucune place pour le superflu dans ce roman miniature à la structure serrée. Les scènes décrivant l’expérience du front sont à ce titre d’une perfection et d’une force remarquables. Durant la lecture, on pense au magnifique texte que Bernard Noël nous avait offert sur le même thème, La Guerre (Dana, 1996). Certes, l’écriture de Noël est celle d’un poète mais l’on découvre dans ces deux représentations de l’épouvante la même concentration de peur et d’angoisse, la même teinte. « De grandes giclées de vert envahissaient tout l’espace, les miasmes et l’humidité formaient des traînées flasques comme le vide dans les peintures chinoises. Hongdou était à demi couché dans le tunnel, le dos contre la paroi. Les pierres irrégulières suaient comme si elles étaient atteintes de maladie rénale. »
Ce roman véhicule le constat d’une incapacité, d’une impossibilité à vivre. Pour autant, il n’est en rien le récit d’un échec. C’est comme si Hongdou était voué, condamné au drame et au malheur. En faisant de son personnage une victime de l’histoire collective, l’écrivain parvient à construire un texte saisissant. On écrirait facilement de Bi Feiyu qu’il emploie une encre sympathique. Voilà sans doute ce qui fait sa force.

De la barbe à papa un jour de pluie
Bi Feiyu
Traduit du chinois par Isabelle Rabut
Actes Sud
128 pages, 12,90

Vie sans issue Par Benoît Broyart
Le Matricule des Anges n°54 , juin 2004.