La réalité multiple et foisonnante de l’Inde, je comptais bien en dresser un vague inventaire dans ces pages, mais je crains que ce soit impossible », concède sans tarder le trop méconnu Fernando Nenhum (à quand la réédition de son magnifique roman L’Illusionniste dans la traduction du Père Haji B. Canular ?) avant de conclure en bout de piste : « Plus tard, au moment où l’avion décollait dans la nuit tiède, je me demandai si l’Inde existait. Je n’en étais pas très sûr. » Dans l’intervalle se déploie le plus haletant des récits à suspense : notre héros et sa compagne Kitty parviendront-ils à vaincre la turista et à déserter les toilettes assez longtemps pour composer « le plus paresseux chapitre de roman ou le plus léthargique des poèmes modernes » ? Ou même « une ode fitgéraldienne » ? Des écrivains nés sous le signe de la bougeotte, on distinguera avec profit entre les touristes et les voyageurs. Nenhum est sans conteste des seconds s’il consent à visiter un temple, c’est pour expédier la péripétie en une ligne et demie, tandis qu’une vague silhouette aperçue entre chien et loup lui inspire tout un paragraphe ainsi conclu : « Je me sentais triste à l’idée que j’avais vu cette femme sur sa véranda aux tout derniers soirs de sa vie. » À ce petit bijou d’humour et de décalage, serti de phrases qu’on aurait bien aimé laisser tomber de sa propre plume, rien d’autre à reprocher que la traduction de Jean-Paul Chabrier, lequel n’a pas su s’effacer derrière le texte portugais. Par endroits, on jurerait lire un original de l’auteur de J’ai rencontré Perdita.
The Road to Mumbaï de Fernando Nenhum
Traduit du portugais par Jean-Paul Chabrier,
L’Escampette, 78 pages, 12,50 €
Domaine étranger Salaam Mumbaï
octobre 2004 | Le Matricule des Anges n°57
| par
Eric Naulleau
Un livre
Salaam Mumbaï
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°57
, octobre 2004.