Les textes de Zinnie Harris ont été remarqués dès ses débuts. Après un parcours un peu atypique, elle étudie la zoologie, puis suit une maîtrise de mise en scène-dramaturgie, ce jeune auteur travaille actuellement à l’écriture de pièces pour le Royal Court et le Royal Lyceum Theatre d’Edimbourg. L’année passée, la comédie de Valence lui avait fait commande d’un texte court Crépuscule. Et le plaisir de découvrir cette écriture augmente avec cette nouvelle traduction.
Plus loin que loin est presque un huis clos de plein air dont le démarrage se situe en 1960 sur une île volcanique perdue au milieu de l’Atlantique. Après plusieurs mois passés au Cap, Francis, le neveu de Bill et Mill, est de retour accompagné de M. Hansen, un industriel spécialiste de la mise en bocal. Ce dernier a le projet d’implanter une usine sur l’île pour commercialiser les langoustes. Mais le réveil du volcan oblige tout le monde à fuir. Le deuxième acte se passe en Angleterre. Tous travaillent dans l’une des usines de M. Hansen. Mais cet exil est mal supporté et va obliger chacun à se positionner dans son rapport au monde.
Ce qui est superbe dans Plus loin que loin, c’est son déchaînement tragique, en phase avec les éléments. L’île est le lieu du volcan et des tempêtes. Comme si la force des éléments entraînait les passions, poussant les humains jusqu’au sacrifice. Les sentiments sont exacerbés, poussés à leur extrême, comme dans toute grande tragédie. En Angleterre, par contre, tout devient étroit, petit, confortable, sans envergure. L’eau ne fait juste que monter du sol pour suinter dans les habitations. Les rivières sont enterrées, il n’y a même pas de fenêtre dans certaines pièces de l’usine. Sur l’île, le seul lien avec l’extérieur était un bateau de ravitaillement, le D’hors devenait alors l’étrange, en Angleterre domine l’impression qu’il n’y a plus d’extérieur. Tout y est confiné.
La puissance tragique est renforcée par la langue de Zinnie Harris. Très parlée, rugueuse, elle accroche les oreilles et donne une rythmique tout à fait étrange aux îliens. Voici la première réplique de Mill quand elle voit revenir son neveu : « J’attendu. Dès le soleil levé./ Vu ton bateau du début qu’il arrive./ Retenu mon souffle pour les roches. Fermé les yeux pour le coin./ Compté les battements de mon cœur pour l’arrivée. » Et comme son neveu cherche à l’interrompre, elle ajoute : « M’approche pas, pas déjà./ Laisse d’abord que je te voie bien./ L’autre côté./ Alors c’est comme ça qu’ils s’habillent alors, ceux du D’hors ?… »
Cette langue va d’ailleurs faire exploser le mode de vie anglais. Comme ce rituel du thé, revu et corrigé par Mill qui veut « verser du thé de la L’Angleterre de la théière de la L’Angleterre pour Francis ». Les soucoupes, le lait, le pot à lait, les gâteaux, les bocaux, les morceaux de sucre deviennent tout aussi empruntés et risibles en même temps.
Deux façons différentes d’être au monde s’affrontent : celle de M. Hansen, qui représente le monde occidental, capitaliste qui ne cherche qu’à posséder la beauté, à l’exploiter économiquement même s’il est troublé par elle, et celle de l’île, plus sauvage, moins polissée. Entre les deux, se trouve Francis, scindé, tiraillé entre les deux mondes sans arriver réellement à choisir son camp. L’une des dernières répliques nous est adressé autant qu’à lui : « Choisis/ mais que tu choisis pour de bon/ Regarde autour de toi, ça que tu veuilles ? Ça ? »
* Plus loin que loin a été créée à Paris au Théâtre du Rond Point, en janvier 2005, dans une mise en scène de Sandrine Lanno.
Plus loin que loin
Zinnie Harris
Traduit de l’anglais par Dominique Hollier et Blandine Pélissier
L’Embarcadère éditions
(8, rue des Bohémies. 95590 Nointel)
140 pages, 15,50 €
Théâtre Les îles antipodes
avril 2005 | Le Matricule des Anges n°62
| par
Laurence Cazaux
Dans une très belle langue inventée, Zinnie Harris place sa tragédie sur deux îles, l’une sauvage et volcanique, l’autre, puissance économique.
Un livre
Les îles antipodes
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°62
, avril 2005.