Je + nous n’égale pas genou, mais « jou » et le monde Jou n’est pas mou du genou, c’est un super livre, vraiment, qui développant votre lucidité vous fera basculer hors des fictions en cours (« totalement maîtrisées par le capitalisme phase IV »). Le monde Jou n’est pas celui des « freestylers » qui, les pauvres, n’en finissent pas d’exécuter des figures (vous voyez très bien ce que nous voulons dire). Le Monde Jou est vraiment cool car il dénonce « l’incompétence généralisée » dans laquelle on baigne, nivelé par le bas de « l’excess-conviviality » qui nous bloque tous, il faut bien le dire, dans les « figismes confortables » d’une « non-critique » généralisée, ce qui est vraiment « super craignos », sans parler, on ne vise personne, de votre « hyperspécialisation esthétisante », non mais, regardez-vous. Le Monde Jou vous propose un sérieux debriefing et après vous serez « jou », dans un monde vraiment non capitaliste, ce sera très fort, on vous le promet, c’est possible, c’est une farce et ce n’est pas une farce, c’est un jeu vidéo, vous êtes un tueur, un gunner, un méchant, vous n’êtes plus ni vous ni je : voulez-vous jouer avec « jou » ?
Le Monde Jou vous déconnecte de notre monde où tout se joue (se jouerait), sur la scène post-moderne, la révolution, l’avant-garde, la politique, la poésie, l’art, etc., vieilles choses joliment vintage à recycler aux rayons chics des consommations spectaculaires. C’est courageux, c’est aussi immédiatement très tendance. On peut se demander si, malgré son terrorisme de surface, ce livre ne serait pas un peu naïf, voire un peu dupe de ses propres stratégies, sachant bien qu’il joue, que tout n’est que jeu, mais se prenant tout de même au jeu de vouloir changer le monde, prenant la pose du joueur qui y croit, utilisant les mots de l’ennemi, la langue de bois du capitalisme en phase IV, infiltrant les représentations du moment pour mieux les exploser, mais fasciné tout de même et dès lors jouant un peu sur tous les tableaux, non ? Le Monde Jou n’est pas écrit par Éric Arlix mais, dépersonnalisé à haut débit, produit par « jou » à la place de je (= non écrit, disons-le). Voulant sauver le monde, ce qui n’est pas rien et toujours un peu épuisant, la prose se laisse contaminer par la phraséologie communicationnelle à la mode, balançant entre parodie et empathie, dans une manière certes exagérément christico-burlesque, mais tout de même un peu démonstrative. L’ambiguïté n’est pas en soi si gênante, elle fait toute la dynamique de la démonstration, et son outrance. C’est un peu appuyé, on est dans le meilleur des mondes, c’est clair (et du coup le livre en devient parfois ennuyeux comme un livre de science-fiction, il faut bien le dire, et, comme tel, presque immédiatement déjà démodé, c’est embêtant).
Le Monde Jou est un livre dont il ne faut pas trop dire de mal cependant, car ce serait trop facile, parce que, aussi, on est assez d’accord avec le radicalisme de sa vision politique, au fond. C’est un livre plutôt sympathique par sa lucidité, même surjouée, notamment sur le versant pamphlet littéraire (encore que ce soit un peu facile, les généralisations systématiquement négatrices qui, sans citer personne, mettent tout le monde dans le même sac et, a contrario, permettent de se donner le beau rôle, en s’économisant une réelle lecture de ce qui est visé). C’est en somme un assez mauvais livre, mais qui se revendique comme tel, rejetant ou prétendant rejeter tous critères esthétiques. C’est un livre de non-littérature (mais ce n’est pas si simple), genre un peu brouillon, style pamphlet light parodique post-situationniste énervé tendance affolé, voire bâclé, qu’on s’attendrait plus à lire sur le blog de l’auteur, mais encore une fois pourquoi pas ? Paranoïaque ? Sans doute un peu, mais l’auto ironie sauve les meubles globalement. Emphatique ? Oui, mais dans le décalage. Copieur ? Certainement, mais les sources sont citées (côté littérature, Jean-Charles Massera, Daniel Foucard, Chloé Delaume, J.G. Ballard, entre autres). Lisible ? Surtout au début et à la fin. Efficace ? Joker. Jou ? Jou.
Xavier Person
Le Monde Jou
Éric Arlix
Verticales, 174 pages, 15 €
Courrier du lecteur Fin de parti
mai 2005 | Le Matricule des Anges n°63
| par
Xavier Person
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Le Matricule des Anges n°63
, mai 2005.