Victor-Maurice Le Page (1918-1977) eut plusieurs vies. Sous la signature de Maurice Raphaël, il commit des romans d’une belle férocité (Ainsi soit-il). Puis, sous celle d’Ange Bastiani, des polars à la chaîne. Son passé sulfureux (pendant l’Occupation) n’aida guère à sa postérité, malgré le soutien de Breton et de Guérin. La réédition de La Croque au sel (1952) donne pourtant un aperçu de son sombre talent. « La littérature de notre époque puisera sa source aux faits divers ou devra se résigner à la gravité », met-il en garde. Vues d’en bas, les années 50 n’ont rien de glorieuses. Usine en grève, ciel mou, champ de boue en guise d’horizon. À la lisière de la ville, le petit peuple cuit à l’étouffée dans son habitation à bon marché (ou « pénitencier », ou « entrepôt à viande »). Zoom sur une famille. Elle compte ses déshérités : la mère Graine, le père invalide, la gosse et le clébard sous l’évier, la belle-fille qui tapine chez le bijoutier pendant que son jules est au ballon. Le soir, l’autre fils traque les chats pour remplir la gamelle. Jusqu’à extinction du cheptel. On se prépare à manger la bru… Tout le roman ruisselle de la même eau : une eau noire et usée, où se noie « la longue habitude des pas perdus », où l’haleine familiale, dans ce huis clos étouffant, suffit à « rendre l’air insupportable ». Organique, l’écriture de Maurice Raphaël puise dans le quotidien la part maudite de notre humanité quitte à s’offrir quelques échappées fantasmagoriques. Pour en finir avec les « formes sclérosées » du roman bourgeois, Maurice Raphaël (qui inspira peut-être La Gana de Jean Douassot) préconisait une littérature du « contact », jusqu’à la diffusion des livres « au porte-à-porte ». Ça s’apparente plutôt à un coup au plexus.
P. S.
La Croque au sel
Maurice Raphaël
(suivi d’un dossier établi par Alfred Eibel)
L’Esprit des péninsules, 246 pages, 19 €
Histoire littéraire Le chat machine
mai 2005 | Le Matricule des Anges n°63
| par
Philippe Savary
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Le chat machine
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°63
, mai 2005.