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Égarés, oubliés Le roman d’une danseuse nue

juin 2005 | Le Matricule des Anges n°64 | par Michel Loetscher

Égérie des Années folles, Colette Andris fit de la beauté toute nue l’œuvre de sa vie.

L’Exposition des arts décoratifs et industriels de 1925 écarte les lourdes tentures et les doubles rideaux du décor modern style, qu’elle relègue à la brocante. Son affiche, signée Robert Bonfils, est un symbole du temps : elle montre une jeune femme courant à côté d’une antilope. En ces Années folles, ces années-jazz où triomphe la Vénus noire Joséphine Baker, l’image de la femme bouge et se brouille : elle est en train d’échapper aux hommes qui n’ont survécu à la première boucherie mondiale que pour se retrouver précipités dans la guerre des sexes… De nouvelles danses apparaissent : charleston, tango, fox-trot. Hommes et femmes sont animés par une irrésistible frénésie de rire et de danser sur les millions de morts pour rien de la Grande Guerre. C’est de ce terreau fertile que jaillit une belle plante dont le rêve irrépressible était de brûler les planches en tenue d’Eve : Mlle Colette Andris, née Pauline Toutey, avec le siècle, probablement dans les Vosges.
En 1930, cette flamboyante licenciée ès lettres tombe la robe d’avocate pour danser nue sur les scènes parisiennes et devenir Miss Nocturne, « la danseuse nue idéale », double littéraire dont elle raconte d’une plume légère les irrésistibles aventures dans Une danseuse nue (Flammarion, 1933) : « J’ai voulu, moi, lancer le nu intégral, sans braver la conventionnelle décence, ni la police : un gros ballon me tenait lieu de cache-sexe mobile, et j’exécutais « la danse du ballon », ou, si vous aimez mieux, « le jeu du ballon », au cours duquel jamais on ne voyait ce qu’on ne devait pas voir ». Son but ? « Créer de la beauté, une ligne continue de vivante beauté ».
En 1933, le directeur du cinéma des Folies-Dramatiques présente aux Parisiens La Marche au soleil, un film à succès sur le naturisme, tel qu’il se pratiquait alors massivement en Allemagne avant l’avènement d’Adolf Hitler voir aussi les expérimentations de Théo Varlet en la matière, dès le tout début du siècle. Colette Andris illustre cette présentation par « un numéro sportif et joyeux » : « Je ne pensais pouvoir mieux faire que d’exécuter ma Danse du Ballon, telle qu’elle avait été réglée, c’est-à-dire nue, intégralement nue. »
Le public et le succès sont au rendez-vous et la censure est désarmée : « Cette bienveillante neutralité n’était-elle pas à prévoir sous le règne de M. Chiappe, le plus Parisien des Préfets de Police, qui, s’il cherche à purger la capitale de ses paradis frelatés, ne tient pas à la priver, au nom d’une pruderie exagérée, de joie saine et d’air pur, car alors Paris ne serait plus Paris ? » Le nu intégral sur scène vient d’acquérir son droit de cité, alors qu’avant cette intrépide intégriste de la nudité, le cache-sexe en perles était de rigueur.
Dans un ouvrage édifiant sur La Beauté du corps et l’avenir de l’humanité (s. n., 1933), elle écrivait : « Une herbe que le vent courbe est nue et parfaite en son mouvement. Alors, pourquoi le corps, cette plante merveilleuse, ne serait-il pas simplifié, dépouillé de parures inutiles et trompeuses, pourquoi ne serait-il pas, lui aussi, un reflet d’harmonie, l’enchantement vivant que, pétrifié, représente une belle statue ? »
Mais « la carrière de danseuse nue est forcément une des plus limitées qui soient, puisqu’elle est à base de jeunesse ». Vient le moment de « faire une fin » c’est-à-dire un beau mariage. Miss Nocturne épouse l’homme idéal, le délicat Gilbert Chantal, « président des automobiles Spring », qui lui fait une ravissante enfant, Marie-Allix, et la pousse à réaliser son rêve : « Pourquoi ne la fonderais-tu pas, cette École de danse nue ? Marie-Allix serait ta première élève. »
On ne sait si Colette Andris réalisa son rêve. Mais elle fit école. En 1935, une jeune américaine, Joan Warner, qui dansait entièrement nue derrière un éventail en plumes d’autruche, fut assignée en justice à Paris par un client scandalisé. Ce fut l’un des derniers grands procès pour attentat à la pudeur au cabaret. L’acquittement de Joan encouragea les établissements parisiens dans la voie du nu intégral pour attirer la clientèle. Trois « camps naturistes » avaient fait leur apparition en région parisienne (Air et Soleil, le Club Gymnique de France et le Sparta Club) et une douzaine avait poussé en province la semence de l’hédonisme individualiste était dans l’air du temps.
De Colette Andris demeurent quatre livres, publiés entre 1929 et 1933. Son premier titre, La Femme qui boit, fut un best-seller chez Gallimard, dans la collection « Les Livres du jour ». Mais la critique littéraire d’alors ne le mentionna guère. Idem pour L’Ange roux, publié par l’éditeur Louis Querelle. Elle fit également des apparitions très remarquées dans trois films : Le Culte de la beauté (1930) de Léonce Perret, Brumes de Paris (1932) de Maurice Sollin et, auprès de Fernandel, Une nuit de folies (1934) de Maurice Cammage. Puis sa trace publique se perd. Un beau mariage ? Spring évoque une marque automobile d’outre-Atlantique… Aurait-t-elle émigré pour vivre heureuse, donc cachée ? Un mari jaloux aurait-il voulu s’assurer la jouissance exclusive de sa beauté en rachetant toutes les copies de ses films et en lui interdisant de se produire ?
Seuls quelques bouquinistes perpétuent distraitement la mémoire de celle qui voua sa vie à la beauté nue offerte en « spectacle vivant » une beauté dont le jaillissement s’est tari dans un vertige de vieux papier jauni et dans la brume sépia de vieilles pellicules dont la matière nébuleuse garde la traînée d’une présence ou quelque chose comme un sillage de grâce.

Michel Loetscher

Le roman d’une danseuse nue Par Michel Loetscher
Le Matricule des Anges n°64 , juin 2005.