Ce sont « trois microromans » qui s’ajoutent à l’œuvre pléthorique (déjà douze volumes d’Œuvres complètes) de Kadaré, dont l’imagination et la capacité de critique des sociétés totalitaires paraissent ne jamais devoir faiblir. Ce maître de l’anti-utopie que son commentateur Éric Faye met au rang d’Orwell et d’Huxley, réunit ici un inédit des années soixante et un récit de 2004. Quarante ans d’écriture d’un nobélisable prennent en tenaille le lecteur.
L’action démarre aussitôt, dans la famille Kadaré bouleversée par « un climat de folie » : une tentative de suicide cachée, des tantes espiègles et virulentes… La cause en serait une carte du parti communiste. Un parti secret, quoiqu’au pouvoir, et qui serait derrière toutes les boutiques, tous les suicides. Les personnalités politiques, de Staline à Enver Hodja, s’effacent dans l’onirisme. Le jeune narrateur et son ami préféreraient à ces potiches souriantes de vrais monstres, plus excitants pour l’imagination… La réalité les rattrapera-t-elle ? Quand, soudain, les professeurs de latin sont rossés au cri de « Vive la langue russe ! ». Lors d’une mort symbolique la famille emporte le destin de l’Albanie entière…
Dans « La Morgue », une laide épouse un sous-lieutenant exclu de l’armée et du parti pour avoir convolé avec l’ennemi de classe. On assiste à sa maigre ascension sociale, à ses démêlés avec sa belle-mère. Quant à « Jours de beuverie », récit de jeunesse condamné par le socialisme pour décadence, il s’agit de la quête loufoque d’un manuscrit qui met la ville en émoi. Une fois de plus, les proses de Kadaré sont époustouflantes.
Un climat de folie d’Ismail Kadaré
Traduit de l’albanais par Tedi Papavrani
Fayard, 216 pages 17 €
Domaine étranger L’antidote Kadaré
octobre 2005 | Le Matricule des Anges n°67
| par
Thierry Guinhut
Un livre
L’antidote Kadaré
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°67
, octobre 2005.