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Domaine étranger Sicile impératrice

novembre 2005 | Le Matricule des Anges n°68 | par Jean Laurenti

Un demi-siècle de combat sans répit pour accéder à la liberté et à la connaissance de soi : écrivant la vie d’une femme hors du commun, Goliarda Sapienza façonne un écrin romanesque torrentiel et baroque.

S’engageant dans un roman et a fortiori si son auteur est inconnu de lui, le lecteur est souvent tenté de rassembler autour du livre une famille littéraire accueillante et d’en scruter les visages afin d’établir les parentés, filiations et affinités capables de baliser sa lecture. Avec L’Art de la joie, il n’est pas sûr de parvenir à établir les connexions espérées. Née à Catane en 1924, fille de Maria Giudice qui fut une proche d’Antonio Gramsci Goliarda Sapienza a mené une carrière de comédienne au théâtre et au cinéma avant de s’atteler à son œuvre autobiographique et romanesque. En 1976, au terme d’un labeur de presque dix années, elle termine la rédaction de L’Art de la joie. On ne s’étonnera guère des difficultés qui en ont accompagné la publication : ce n’est qu’en 1996 que le livre a été publié dans son intégralité en Italie, soit vingt ans après son achèvement. L’auteur avait essuyé une série de refus avant de renoncer à le faire éditer et de se lancer dans d’autres projets. Morte à l’été 1996, Goliarda Sapienza ne devait pas voir l’édition définitive de son roman.
On peut en quelques mots donner l’argument de ce livre, mais il n’est pas certain qu’on rende ainsi justice à son auteur : L’Art de la joie conte l’histoire de Modesta, née en Sicile en 1900, dans une famille misérable. Placée dans un couvent sinistre de l’arrière-pays sicilien, après avoir été violée et avoir perdu sa mère, elle en sortira pour entrer dans une famille noble dont elle assumera la responsabilité et qu’elle maintiendra à flot. Devenue « princesse », elle va mener une existence de femme débarrassée de toutes les conventions, proche des milieux communistes et féministes sur fond d’installation du fascisme et de ravages guerriers. Sa maison sera une sorte de phalanstère où des gamins nés de princes, de servantes, de paysans ou de combattants communistes apprendront ensemble à devenir des êtres libres.
Tout au long de ce récit torrentiel palpite un projet qui en irradie chaque page : écrire l’itinéraire d’une femme dont chaque acte vise à exprimer la quintessence de soi, et lutter contre toutes les formes d’oppression, d’enfermement. Il faut n’être « l’employé » de personne, ne se soumettre à rien, ni aux exigences de la richesse, ni à celles du talent (celui qui pourrait faire de vous un écrivain désireux d’une carrière), combattre le « fascisme à l’intérieur de nous » qui rend esclave des conventions.
Pour cela, Goliarda Sapienza (dont le nom signifie sagesse) utilise une large palette des ressources de la forme romanesque : images poétiques, dialogues quasi philosophiques, scènes oniriques, ellipses narratives, tableaux érotiques…
Le livre s’ouvre sur une séquence qui n’a l’air de rien mais qu’on trouve très belle, sans bien savoir pourquoi, peut-être simplement parce qu’elle sonne juste : « Et me voici à quatre, cinq ans traînant un bout de bois immense dans un terrain boueux. (…) Je m’enfonce dans la boue jusqu’aux chevilles mais je dois tirer, je ne sais pas pourquoi, mais je dois le faire. » Ce quelque chose de plus fort qu’elle, toujours à l’œuvre dans la suite du récit, la poussera à agir, à tracer son sillon sur un territoire non balisé. Nous voici donc engagés au côté de Modesta. De temps à autre, on est interpellé, pris à témoin de l’insupportable vanité des discours et des épreuves qui lui sont infligées. Telles ces injonctions au lecteur, tandis que Modesta subit les sermons de la mère supérieure. « Écoutez (…). Vous avez entendu ? Écoutez encore (…). Écoutez, même si vous n’en avez plus envie. » Ailleurs : « Le fait est que vous la lisez, cette histoire, et vous anticipez, tandis que je la vis, je la vis encore. »
Modesta se méfie des mots. Plus tard, devenue une lectrice assidue, elle découvre que « les mots mentaient presque tous », qu’il faut « les nettoyer de la moisissure, les délivrer des incrustations de siècles de tradition.(…) Et ma haine grandit jour après jour : la haine de se sentir trompé. »
Bien sûr un tel livre n’est pas sans faiblesses. Dans les nombreuses scènes de passion amoureuse, dans les portraits des amant(e)s de Modesta, dans la façon de présenter la geste d’opposants au fascisme, on trouve ici et là un peu de naïveté, de recours au cliché. Voici Carmine, le vieux mâle à l’imparable séduction : « Deux prunelles bleues se posèrent une seconde sur nous. Des lames d’or jaillirent comme des flèches de ce sombre azur. » La répétition des scènes de rencontre amoureuse, la fascination devant les séductions de tel ou tel être d’exception suscitent chez le lecteur une certaine lassitude. De même, les dialogues donnent quelquefois une impression de superflu : l’auteur aurait gagné à fondre davantage leur substance dans le corps de la narration.
Cependant, Goliarda Sapienza a réussi l’essentiel : faire un livre à la fois cérébral et sensuel, dessiner sans la figer la trajectoire d’un personnage dont le rêve était de « naître vieux et de mourir enfant. »

L’Art de la joie, de Goliarda Sapienza
Traduit de l’italien par Nathalie Castagné
Viviane Hamy, 638 pages, 24

Sicile impératrice Par Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°68 , novembre 2005.
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