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Domaine étranger La Suisse face à son miroir

avril 2006 | Le Matricule des Anges n°72 | par Sophie Deltin

La littérature alémanique semble empreinte d’une expérience singulière avec le politique. Dans un essai lumineux et stimulant, Peter Von Matt revient sur deux siècles d’écriture.

Sang d’encre, voyage dans la Suisse littéraire et politique

Dans cet ouvrage qui regroupe des discours de conférences, des articles parus dans la presse et des réflexions personnelles, Peter von Matt, critique et essayiste renommé à Zurich, n’est pas seulement un lecteur alerte et érudit, c’est surtout un analyste pénétrant d’une littérature pour une large partie longtemps méconnue (« La littérature de la Suisse ne compte que depuis 1945 ce fut longtemps chose convenue, même en Suisse ») et dont la plume savoureuse manie autant l’élégance du verbe que l’humour flamboyant. « Je suis un observateur de la littérature, se résume-t-il d’un trait. Souvent cela ressemble à la tâche d’un garde-chasse qui doit être sur les talons des lynx et des loups immigrés. De temps en temps il peut y avoir aussi un mammouth. En effet en art aucune créature ne disparaît. »
Traqueur de traces, Peter Von Matt s’applique alors à faire revivre dans des pages vibrantes de poésie, des espèces rares : Robert Walser, Gerhard Meier, Hugo Loetscher, et souvent négligées : Friedrich Glauser, Regina Ullmann, Adelheid Duvanel, Peter Bichsel. Une galerie de portraits, subtils et originaux, dont on saura particulièrement gré à l’auteur de les avoir assortis d’extraits souvent étonnants. Dans ces moments de redécouverte, Peter Von Matt aime aussi à remonter les pistes pour montrer la permanence des liens qui se sont tramés entre la littérature et le politique. Jusqu’à l’actualité la plus récente : ainsi les termes du débat sur l’entrée de la Suisse dans l’Europe trouveraient-ils leur fondement au XIXe siècle dans les positions opposant le fédéraliste radical Jeremias Gotthelf et Gottfried Keller favorable lui, au pouvoir centralisateur de l’État fédéral.
De cette remise en perspective historico-littéraire, il appert en effet que les écrivains suisses, de Fritz Zorn, Thomas Hürlimann, à Peter Noll, n’ont eu de cesse de poser avec passion la question complexe de leur identité indivisiblement nationale et linguistique, quitte à se livrer, âprement et obstinément, à la « démythification » des fables fondatrices et des formules grandioses dont leur pays fut nourri de tout temps. Ainsi de « la petite maison suisse bien propre sur l’île battue par les flots dans la mer du monde, habitée par une gentille famille qui cohabite paisiblement,(…) secourable comme Henri Dunant… » : autant de légendes héroïques et de stéréotypes faciles qu’il leur fallut déconstruire afin de saper « la belle assurance » de la Suisse à l’égard d’elle-même.
C’est toute l’ambivalence foncière de la fonction de la littérature alémanique, son poids politique décisif et son « rapport très changeant à l’histoire », qui se trouvent ici ressaisis avec profondeur. En effet, dans une vision de l’histoire interprétée comme un « stupéfiant » ou un « hallucinogène social », Peter Von Matt nous rappelle comment il revient toujours à la littérature d’en nourrir l’ « ivresse » (jusqu’à atteindre parfois « l’intoxication »), autant que l’ « état complémentaire, le cafard, le morne dégrisement ». L’exemple le plus éloquent de cette analyse est sans doute la légende de Guillaume Tell, spectaculaire pour la fascination qu’invariablement elle sût exercer en faveur aussi bien sinon plus, selon l’auteur des « desseins démocratiques et libéraux » que de « l’opiniâtreté réactionnaire ». Ainsi, de Johannes von Müller, Robert Walser, à Max Frisch, il n’y a guère d’auteurs suisses de langue allemande qui n’aient pas réinvesti ce récit mythique, « soit pour l’approuver, soit pour le démonter par la critique ». Car ce sont toujours des systèmes d’images qui gouvernent, mettent en scène et exaltent l’action, mais ce sont les mêmes images qui peuvent « faire écran » au réel. Or « si l’on veut que la politique reste réaliste », comment ne pas exiger de la littérature elle-même qu’elle en assure « la critique permanente » ? Et si, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, deux auteurs de talent ont assumé avec brio (et scandale, à l’époque) ce réajustement des images : Max Frisch, l’auteur de Stiller (« le roman de l’heure zéro pour toute la Suisse »), ainsi que le romancier et dramaturge Friedrich Dürrenmatt, c’est en réalité dès le XIXe siècle, notamment avec Gottfried Keller dans La Maison à l’épée suisse, que l’on repère les premières tentatives pour miner de l’intérieur le « patriotisme archaïque et émotionnel » qu’il célèbre pourtant.
De cette longue et magistrale explication de fond avec « les fausses métaphores et les fausses représentations » de la Suisse, Peter Von Matt, dont la forte conscience politique de citoyen résonne à toutes les pages, en disqualifie néanmoins le schéma grossièrement simpliste qu’elle a induit entre une « bonne » et « mauvaise » Suisse. Car souligne-t-il, « cette esthétique de régent de collège repose sur l’opinion trompeuse que la mauvaise conscience suffit à résoudre les problèmes qui la font naître, elle a donc à sa façon une teinte de fumisterie ».

Sang d’encre, Voyage
dans la Suisse littéraire
et politique

Peter Von Matt
Traduit de l’allemand
par Colette Kowalski
Éditions Zoé
352 pages, 23

La Suisse face à son miroir Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°72 , avril 2006.