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Domaine étranger Le cas Hermann Bahr

juin 2006 | Le Matricule des Anges n°74 | par Sophie Deltin

Personnalité très controversée de la Vienne intellectuelle de la fin du XIXe siècle, ce propagandiste éclairé, mort en 1934, sut pourtant imposer sa marque sur toute une génération.

Ce monsieur de Linz qui inventa Vienne

Il reste très peu connu par rapport aux écrivains de l’époque que la postérité a consacrés. Hermann Bahr n’en fut pas moins une figure notoire et une présence « incompressible » selon le mot du traducteur et préfacier Jean Launay sur la scène littéraire et culturelle viennoise du tournant du siècle dernier, ne serait-ce qu’en devenant la cible récurrente de toutes les polémiques. Sa spécialité ? Découvrir les talents du présent pour créer de nouvelles valeurs, proclamer les courants et inventer les modes. « Je suis doué d’un flair pour le talent, explique-t-il. Quand du talent paraît quelque part, je le sens par un tressaillement en moi, et qu’il y ait du talent dans le monde me rend heureux, c’est comme un beau soleil. »
Né à Linz en Autriche en 1863, Hermann Bahr fait ses premiers pas dans la politique. Après un séjour dans la capitale française (1888-1890) où l’influence des symbolistes (Huysmans, Maurice Barrès) décide de son orientation définitive dans la littérature, il se rend à Berlin, puis dès 1892 s’installe à Vienne avec pour seul mot d’ordre « le dépassement du naturalisme ». La « modernité » ne peut en effet s’obtenir qu’à ce prix. Au café Griensteidl où il prend ses habitudes, il déniche les jeunes plumes déjà nourries aux idées « décadentistes », entre autres Hugo von Hofmannsthal (qui signe alors ses premiers articles « Loris »), Arthur Schnitzler, Felix Salten, Leopold Adrian, et devient le fédérateur de ce qui sera bientôt désigné par l’appellation collective de « Jung-Wien ». Mais que veulent-ils au juste, ces jeunes littérateurs de la Vieille Autriche ? « Ils veulent la couleur autrichienne et l’odeur du présent » résume leur chef de file, revendiquant ainsi l’autonomie de l’art autrichien réduit jusque-là au rang d’ « un appendice quelconque de l’(art) allemand ». Pour servir une telle ambition, le propagandiste Bahr, encore tout imprégné de l’atmosphère « Fin de siècle » parisienne, trouve son slogan : ce sera le « romantisme nerveux », mieux : la « mystique des nerfs ». Quant à la méthode, seule suffit la foi aveugle accordée aux sensations nouvelles : « Oui, aux sens et à eux seuls nous voulons faire confiance, à ce qu’ils nous disent et à ce qu’ils exigent de nous. Ils sont les messagers du dehors, du bonheur qui habite la vérité. C’est eux que nous voulons servir » écrit-il dans son texte programmatique La Modernité. Le critique littéraire qu’il est doit alors « renonc(er) à jouer les procureurs » mais plutôt « (c)omprendre l’artiste et son art, (s)’introduire en lui, le suivre », le ressentir du dedans, pour, s’il y a lieu, l’imposer comme l’air du temps. Quitte, le nouveau chassant l’ancien, à se « dépasser » constamment. « On a en soi autant d’individus qu’on a vécu de mondes différents : c’est chaque fois un nouveau morceau d’âme qui pousse ». Dans la lignée du psychologue et physicien Ernst Mach, Hermann Bahr entérine l’instabilité et la métamorphose perpétuelle du Moi. Autant dire qu’à une époque encore marquée par l’historicisme, cette conception fortement inspirée de la méthode dialectique avait de quoi heurter les esprits.
Dans cet ouvrage, on appréciera le choix varié et commenté des textes : qu’il s’agisse de ceux tirés de l’Autoportrait de Bahr (1923), de ses essais et manifestes, ou de ses détracteurs, ils sont souvent féroces, toujours pétulants. De fait, celui qui était à la fois romancier, dramaturge (à Berlin, il sera metteur en scène auprès de Max Reinhardt), chroniqueur de théâtre, critique et feuilletoniste (notamment dans le journal libéral Die Zeit), ne fut pas avare d’ennemis. Parmi eux le redoutable polémiste Karl Kraus n’aura jamais de mots assez durs dans sa revue, Die Fackel, à l’encontre de ce « monsieur-qui-vient-de-Linz » dont les « grands effets de gueule » peinent à masquer le vide des valeurs. Dans son pamphlet, La Littérature démolie (1896), c’est bien, derrière le « poseur » qu’il exècre, toute « cette littérature de café à l’enseigne de la décadence » qu’il fustige, avec sa « prétention » et sa « profusion de chichis » : d’ailleurs, « doit-on s’étonner de la stérilité de ces talents quand on les voit si serrés autour d’une table qu’il est bien impossible que l’un pousse sans étouffer l’autre ? » Pour d’aucuns, c’est surtout la propension de Bahr à prendre fait et cause pour toute « nouveauté » qui est proprement insupportable. Ainsi Maximilian Harden de railler « l’homme d’après-demain, (qui) vit toujours dans l’avenir, à la température qu’il fera dans deux jours ». Effectivement, le tout récent chantre de la Sécession n’est-il pas le même qui ne jurera bientôt plus que par les audaces de l’expressionnisme ?
Qui était donc Hermann Bahr ? « Interprète bruyant d’une génération », « émanation de l’air du temps », « publicitaire avant la lettre »… ? Jean Launay, qui maîtrise l’art de la nuance, appelle aussi à préserver la part irréductible du personnage. Peut-être qu’il « ne fut pas compris, avance ingénument Hermann Bahr, qu’on peut être enthousiaste et un don juan de toutes les formes artistiques, qui veut goûter de chacune ce qu’elle a à offrir, en tirer quelque chose, et ensuite l’abandonner. » Tout simplement.

Sophie Deltin

Ce monsieur de Linz qui inventa Vienne
Hermann Bahr
Traduit de l’allemand et présenté par Jean Launay
Anatolia/Le Rocher, 284 pages, 21,90

Le cas Hermann Bahr Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°74 , juin 2006.
LMDA PDF n°74
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