L’idée est la suivante : aux abords de la campagne électorale, émergeraient les programmes et leur mise en forme. Alors on cherche des idées, alors on leur confère une apparence. En gros, il s’agit de faire des phrases, phrases sur lesquelles viendront à s’affronter les candidats et que devront juger les électeurs. Seulement, ceux-ci comme ceux-là ont parfois la partie difficile. Voyous, vous avez certes des droits, n’empêche que je vous rentrerai aussi vos devoirs dans la gueule. Nul doute qu’il y ait, en République, des droits : mais il incombe aussi aux citoyens de remplir leurs devoirs. Nos enfants scolarisés ont des droits, nous avons quant à nous la responsabilité de leur faire faire leurs devoirs. Voyez la balle qui part de la droite, s’attarde au centre, s’échappe vers la gauche : il s’avère aussi qu’elle semble s’enfermer dans un périmètre étroit, comme parcourant toujours le même cercle. Il y a bien quelques nuances d’un propos à l’autre, mais Nicolas François Ségolène nous voilà barbotant dans la même vase, confits d’antithèses et de bon sens, balancés dans une apparence de raisonnement qui s’autodésigne comme l’origine de toute chose.
À espérer l’élaboration d’un discours singulier et construit, on risque donc d’être désappointés. Restent quand même, un peu au-dessous de la phrase, les mots, les pauvres mots. Quand s’en est allé le mouvement même du discours, ils échouent parfois aux commissures politiques, faisant alors plus ou moins signe. En ce sens, 2006 restera peut-être dans les mémoires comme une année faste puisque, par la grâce du CPE et de son terme corollaire de retrait, les dignitaires de l’opposition recouvrèrent un plein usage de la parole. Toute leur conscience ramassée sur deux syllabes, ils en pressèrent avidement le jus. Et que je malaxe la pâte sonore, et que je distende les phonèmes, tel Julien Dray, inquiétant fantôme de la Comédie humaine saisi d’une rage lexicale : « Il n’y a qu’un mot à dire : retrait. R.E.T.R.A.I.T., retrait, sans faute d’orthographe ». Il est ici permis de rêver un peu à ce « sans faute d’orthographe », sorte d’ornement désespéré à la scansion, costume trois-pièces d’ironie professorale prétendant au sens.
Certains objecteront que cette raréfaction du langage n’est qu’un effet prévisible du manège social-démocrate, et de sa pragmatique pauvreté. Un peu plus à gauche, mettons, un peu plus à l’ombre, OK, et les langues se délieront, innoveront. Va donc pour la Fête de l’Huma. Las, là encore, l’aphasie guette. Un aimable flyer annonce le sujet à l’ordre du jour : « Quelle mobilisation pour quel contenu ? » Oui, quelle mobilisation pour quel contenu on ne peut reprocher aux instigateurs du débat d’avoir été par trop directifs, et bon courage à celui qui lancera la conversation. Dans le même ordre d’idées, et pour s’ébattre encore dans le champ des images luxuriantes qui donnent à penser, nous proposons pour notre part, en vue des universités d’été, divers thèmes de réflexion : « Quoi ? », « Comment ? », « Hein ? ». Ou encore, pour ne pas se borner à une interrogation spécifique, l’amorce « QU- », riche, on en conviendra, de promesses.
Avec la langue Les aphasiques
juillet 2006 | Le Matricule des Anges n°75
| par
Gilles Magniont
N’emporter qu’un sac léger, pour les vacances. Quelques syllabes suffiront.
Les aphasiques
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°75
, juillet 2006.