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Domaine étranger Les mots en armes

janvier 2008 | Le Matricule des Anges n°89 | par Lucie Clair

Le dernier tome des mémoires de Wole Soyinka, premier prix Nobel africain, dont la voix indomptable lève le voile sur les abysses politiques du géant pétrolifère nigérian.

Il te faut partir à l’aube

Vingt-cinq ans après ses souvenirs d’enfant à la croisée de deux civilisations1, la vie trépidante de Wole Soyinka nous happe en un basculement dans le monde adulte et la violence de ses drames. Comme un lever de rideau, Il te faut partir à l’aube s’ouvre sur un retour « en ces lieux qu(’il) n’aurai(t) jamais dû quitter » - éveillant le souvenir du premier, l’initiatique : absent six ans pour des études universitaires à Leeds et un séjour prolongé au Royal Court Theater de Londres, il revient en 1960, l’année de l’indépendance du Nigeria. Mais l’espoir surgi des premières élections libres, grevé par les manipulations et la corruption sous l’influence du Haut Commissariat britannique, se transmute en résistance face à des résultats truqués. Cette révolte qui le pousse à en interrompre la diffusion à la radio - et lui fera connaître plusieurs mois d’enfermement - donne le rythme à l’ensemble de l’ouvrage ; en un tourbillon de départs et de retours, mis en abyme par une architecture qui se joue de la chronologie, il saisit, avec ironie parfois, les renversements d’illusions opérés par l’Histoire - et ses cruautés.
Ainsi, celui qui rêvait en Angleterre de constituer, à l’instar des bataillons de 1936, « une brigade continentale de volontaires convergeant (…) de tous les coins de la masse noire de la terre » pour « une guerre de libération de l’Afrique du Sud », sera emprisonné 22 mois pour avoir intercédé dans la crise de l’État biafrais sécessionniste, soutenu pour ses champs de pétrole par la même Afrique du Sud, la France, et une coalition d’États africains. Exilé en 1972, il revient en 1975, repart en 1994, est poursuivi, persécuté, et condamné à mort par contumace en 1997 par la dictature d’Abacha, l’ennemi intime. Il lui faudra attendre la mort de celui-ci en 1998 pour être amnistié et envisager un retour, loin d’être paisible. Soyinka réside aujourd’hui aux États-Unis, mais il était encore (à 72 ans) en avril 2007 à Lagos pour réclamer l’annulation des élections présidentielles entachées de fraude.
Authentique et vif dans ses colères, il déployait déjà dans les années 1960 - contre les « néo-tarzanistes » de la négritude -, l’éloge de l’action et de l’incarnation de l’identité africaine qui lui vaudra son surnom : « Un tigre ne proclame pas sa tigritude, il agit. » Depuis, Wole Soyinka n’a cessé de combattre pour rétablir « Un moment de vérité/ (dans) les mensonges de l’Histoire ». Telle est la mission de l’écrivain à ses yeux. Il n’en voudra pas d’autre, et sa vie est aussi cette suite ininterrompue de prises de paroles publiques, médiations, plaidoyers, rencontres au sommet, dans le souci constant d’informer, de rectifier, rendre conscient. Tel il se présente, attentif aux détails à l’extrême. Tel il agit. Son verbe est haut, imagé, sa langue est âpre, rêche, ou douce et soyeuse - elle est matière.
Face à une telle figure - et promesse de délices littéraires - il faut dépasser un léger étonnement à la lecture des premiers chapitres, plus proches des mémoires d’un homme politique - épicées d’une bonne dose de missions dignes d’un John Le Carré grand cru - que du quotidien d’un homme de lettres. Peu d’incursion intimiste dans sa pratique de l’écriture, pourtant en filigrane de chaque période. Celui qui a marqué une génération d’écrivains africains - leur permettant de vivre leur singularité, et ramenant à la lumière la richesse du prisme des narrations oubliées - a aussi été le chantre d’une vision harmonieuse des rapports interethniques au sein d’une nation qui ne cessa de se morceler, jusqu’à compter 36 États en 2000. De fait, l’œuvre est en marche dans cet activisme au quotidien, au même titre que la création de pièces de théâtre et les cours à l’université : la trame des textes se joue dans la rue, les réunions militantes, les récits des prisonniers. Écrire est un acte politique, immédiat, et se déploie dans la pratique multiple des genres.
Poète, dramaturge, romancier, essayiste, Soyinka conjugue l’ode, la fable, récit, témoignage, épisodes burlesques et tensions tragiques dans cet ouvrage placé sous le double signe d’ « une communion très personnelle avec la route » - et de sa figure yoruba tutélaire Ogoun, « dieu créateur combattant » détenteur du fer, du feu, protecteur des montagnes, et gardien de l’accomplissement de son destin par chaque homme. Investi sous son égide de « l’essence conflictuelle de la dualité humaine » 2 Soyinka est ici ce guerrier des mots, frappant comme l’éclair et ouvrant la voie à la sagesse - non sans avoir payé le prix sanglant de cette initiation. « J’avais parfois l’impression d’être poursuivi par la violence que j’avais cherché à fuir ne serait-ce que pour un temps. » En contrepoint, la célébration de la fraternité irradie des hommages, pudiques pour les vivants - plus flamboyants pour les morts et l’ami Femi Johnson - et sa ferveur jamais démentie pour Nelson Mandela, son « avatar préféré ».
Identification clin d’œil, mais justifiée, pour cet homme d’exception, qui - avec Dylan Thomas pour viatique - n’a cessé, tout au long de sa vie « de brûler de fureur et de se déchaîner/ de crier dans sa rage la mort de la lumière. »

1 Aké, les années d’enfance, Belfond, 1984, suivi de Ibadan, les années pagaille, Actes Sud, 1997
2 Discours du banquet de Stocholm, 1986

Il te faut partir
à l’aube

Mémoires
Wole Soyinka
Traduit de l’anglais (Nigeria) par Etienne Galle
Actes Sud
650 pages, 28

Les mots en armes Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°89 , janvier 2008.
LMDA PDF n°89
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