Plutôt qu’un roman, il s’agit d’un récit. Celui d’une enquête dans le passé de l’Allemagne de l’Est communiste. La narratrice - peut-être l’auteur elle-même - arrive à Berlin en 1996, décidée à percer le mystère de ceux qui ont tenté de franchir le Mur, en particulier une adolescente de 16 ans, et plus exactement à dessiner la toile d’araignée de l’une des plus terribles polices politiques du monde : la Stasi. La tâche sera infinie. Dresser la carte de la Stasi, c’est tracer un chemin tentaculaire plus vaste que le pays lui-même, si l’on suit tous les méandres des cerveaux qui l’ont conçue, aidée et subie. Il suffit pour cela d’avoir des activités aussi dissemblables que de faire de subversives reprises des Rolling Stones, ou d’avoir été le cartographe du Mur. De témoin en témoin, le plus extraordinaire est que le concept d’« ennemi » du régime « ne cessait de s’élargir ». Totalitarisme et paranoïa empêchèrent chaque habitant d’être autre chose qu’espion ou victime. On rencontre un indicateur faux aveugle, un nostalgique du communisme (« une nostalgie absurde » de la part de ceux qui « sont à la recherche d’un désir »)… Les cicatrices, dans les corps, les mémoires et les mentalités seront longues à refermer après cette « romance-horreur » : « La romance vient du rêve d’un monde meilleur que les communistes allemands ont voulu rebâtir sur les cendres de leur passé nazi (…) l’horreur provient de ce qu’ils ont fait en son nom. » La modestie de l’écrivain permet à ce tableau de s’élever dans toute sa grandeur infâme, même si une chape de silence pèse encore sur le pays, faute de pouvoir ou de vouloir « poursuivre des anciens de la Stasi ».
Stasiland d’Anna Funder - Traduit de l’anglais (Australie) par Mireille Vignol, Héloïse d’Ormesson, 368 pages, 22 €
Domaine étranger Derrière le Mur
février 2008 | Le Matricule des Anges n°90
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Derrière le Mur
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°90
, février 2008.