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Vu à la télévision Soirs de flûtes

avril 2008 | Le Matricule des Anges n°92 | par François Salvaing

Et vous ? Timothée, lui, fait partie de ceux qui avaient vu la flûte. Une flûte de champagne, à gauche en amorce, bord cadre, de certains plans, lors de la soirée électorale, sur TF1, du deuxième tour de la dernière élection présidentielle. On avait sans doute, bien avant de prendre l’antenne, arrosé entre soi, sitôt connue, la victoire de Nicolas et on avait, en débarrassant le plateau, oublié une flûte. Celle de Claire, allez savoir, ou celle de Patrick, et cette flûte foi de Timothée ! avait tenu près d’une demi-heure, en amorce bord cadre de certains plans, avant qu’un quelconque hiérarque de la chaîne flûte ! ne la remarque et ne la fasse, petite moucharde, escamoter. Dix mois plus tard, dimanches de municipales, Timothée guette les récipients dénonciateurs d’agapes partisanes. Pas un qui traîne, la leçon semble retenue. Ou peut-être la teneur des résultats n’est-elle pas de nature à exalter Patrick, Claire & Co.

En principe, aucun téléspectateur ne doit pouvoir deviner pour qui votent les vestales qui officient dans les temples de la démocratie télévisuelle. Si une vestale se fait prendre à montrer son bulletin, elle est punie, aussi sec, exclue sinon radiée. Alain, l’année dernière, trois mois de suspension, la honte, il avait déclaré sa bayroute maladie des plus convenables, mais sa déclaration ne l’était pas.

Cette comédie de l’impartialité à quoi l’année durant prétendent s’astreindre les hommes et les femmes troncs du petit écran, c’est les soirs d’élections qu’elle est le plus difficile à jouer. Timothée épie les caméristes, leurs lippes et leurs moues. Caméristes… Ainsi a-t-il choisi de baptiser naguère celles et ceux qui décident de l’accès à la caméra. (Décident en apparence ? Mais dans cet univers, l’apparence n’est-elle pas, presque à soi seule, l’essence ?) Aux mines mouvantes des caméristes de l’empressement à la condescendance, de la gourmandise à l’impatience etc., Timothée prétend lire qui pèse quoi, de qui l’on pressent (espère, redoute) l’ascension, de qui l’on prévoit (savoure, déplore) l’éviction. Les caméristes, à l’instar des girouettes, disent le vent qu’à la différence des girouettes elles contribuent à contenir ou fomenter.

Autour des caméristes, le dispositif des soirs d’élections illustre assez bien ce que les chaînes appellent informer. Des chiffres et des sigles, tel est, ces soirs-là, leur matériau aride. Comment avec cela faire de l’audience c’est-à-dire plus d’audience que la concurrence ? Concours de décors, où l’on vacille entre l’austérité d’une table de dissection et l’entrain d’une Foire du Trône… Concours de sondeurs pour pouvoir proclamer que dès vingt heures pile on a donné, au dixième près, le score final… Concours d’envoyés spéciaux aux six coins de l’hexagone et qui jaillissent soudain d’une minuscule niche de l’image pour occuper quelques instants l’écran entier, cernés c’est selon de militants exubérants ou accablés, et qui congédiés par les caméristes, disparaîtront à reculons et tout berzingue vers le hors champ… Concours de déroulants en bas d’écran qui dévident par saccades des guirlandes de résultats… Concours d’assistant(e)s qui se faufilent entre les notables pour glisser aux officiants une dépêche urgente, histoire de souligner l’effervescence des alambics à tête d’urnes…

Et concours d’invités, bien entendu, sur le plateau et depuis les quartiers généraux. Timothée a connu l’époque où chaque chaîne avait et gardait toute la soirée un invité par parti politique. Aujourd’hui, à la fois pour signifier et pour accélérer à la fois la bipolarisation souhaitée, trois invités à la fois de chacun des deux partis dominants. Et chaises musicales. L’invité A passe une demi-heure sur la Une puis remplace sur la Deux Madame B qui succède sur la Trois à Monsieur C qui file sur la Une. Le zappeur habile peut entendre A, B et C débiter à trois reprises au moins en un soir les mêmes six phrases convenues (appelées paraît-il éléments de langage dans le jargon des communicants) : la grille d’interprétation qu’ils veulent imprimer sur les résultats.

Pourtant, malgré (ou grâce à) tant de filets tendus, les caméristes laissent échapper le sujet de discussion, aux yeux de Timothée, le plus évident, le plus important et le plus inquiétant : le taux record d’abstentions. Que le pays légal s’éloigne de plus en plus du pays réel surtout si l’on ajoute aux abstentionnistes la multitude des non-inscrits et la plus grande encore d’habitants dépourvus du droit de vote, les caméristes, leurs experts et leurs invités l’évacuent d’une phrase avant d’en revenir à leurs éléments de langage. Nul interviewer, nul interviewé n’envisage d’enquête(s), de commission(s), de plan(s) concernant cette plaie qui envahit depuis trente ans le corps social1.

Les soirs d’élections, vient toujours un moment où Timothée délaisse l’écran pour aller tirer de sa bibliothèque un livre fatigué mais inépuisable, La Journée d’un scrutateur d’Italo Calvino. Il sait que le texte lui fournira à chaque page d’amères consolations. Celle-ci, par exemple : « Si l’on n’est pas un sot, seuls comptent deux principes : ne pas se faire d’illusions et ne pas cesser de croire que tout ce qu’on fait peut être utile. »

1 Sur le sujet, on lira avec profit La Démocratie de l’abstention de Céline Braconnier et Jean-Yves Domagen (Folio actuel)

Soirs de flûtes Par François Salvaing
Le Matricule des Anges n°92 , avril 2008.
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