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Traduction Olivier Le Lay

septembre 2008 | Le Matricule des Anges n°96 | par Olivier Le Lay

Berlin Alexanderplatz, d’Alfred Döblin

J’ai ressenti pour la première fois l’impulsion de traduire Döblin à la toute fin des années 90, à Berlin, où je vivais à l’époque. Un ami musicien allemand m’a prêté sa très belle édition Riley de Berlin Alexanderplatz, je lui ai glissé le Rose poussière de Jean-Jacques Schuhl et le Tombeau de Pierre Guyotat, deux textes précieux pour moi. Tout de suite j’ai été frappé par la violence et la musicalité du texte, sa polyphonie, son jeu permanent sur les rythmes et les sonorités. Dans la même séquence le narrateur faisait s’entrechoquer le dialecte berlinois, la Gaunersprache, le yiddish tel que Döblin médecin pouvait l’entendre à ses débuts dans le Scheunenviertel, une langue classique allemande savamment déconstruite (citations en cascade de Gottfried Keller, Kleist, Ludwig Uhland, mais le tout décalé et subverti), le langage publicitaire, différents lexiques techniques (météorologie, mécanique théorique, balistique), les chansons de cabaret, la Bible. Walter Benjamin a pu parler à l’époque d’un livre-mégaphone, au fond je n’ai rien lu de plus vrai sur Berlin Alexanderplatz : non plus le miroir de Saint-Réal, mais un micro promené le long du chemin et qui enregistrerait toutes les voix indifféremment, celle des voyous, des putains, des proscrits aussi bien que celle des savants et des philosophes, pour les entremêler et parvenir finalement à une matière dense et inassignable.
La première traduction française datait du début des années trente et ne correspondait plus aux critères modernes d’une traduction1, il fallait tout refaire. Quand j’ai relu Berlin quelques années plus tard, tandis que je traduisais Enfants des morts d’Elfriede Jelinek, confronté tous les jours à cette langue elle-même cassée et polyphonique, je me suis dit qu’il était peut-être temps d’essayer quelque chose. J’ai proposé le projet à Jean Mattern, qui venait de faire redécouvrir chez Gallimard la Lolita de Nabokov, Ulysse et la Ferme africaine, il a accepté - avec l’accord de Stephan Döblin -, je me suis mis au travail.
Je lis en moyenne trois à quatre heures par jour, tôt le matin et jusque très avant dans la nuit. Généralement des textes assez proches de ceux que je traduis, par l’écriture et le ton. Pour Berlin Alexanderplatz j’ai relu de nombreux livres de Kurt Tucholsky, ce merveilleux auteur encore si peu connu ici, les premières nouvelles de Döblin lui-même, le Moravagine de Cendrars et bien sûr Voyage au bout de la nuit. Alors, le café une fois avalé, je peux déchiffrer - le mot est ici à sa place : découvrir à première vue une partition - les pages à traduire, quatre ou cinq en moyenne, je suis assez lent et j’écris tout à la main. La matinée est consacrée à l’assimilation physique du texte (au préalable près de six mois à lire et relire Berlin sans rien écrire) et à l’élucidation des problèmes de sens (merci au Lexique de la langue parlée en 5 volumes de Heinz Küpper). Commence alors l’incorporation du texte : je lis et relis les pages du jour lentement. Un peu comme une éducation musicale. Peter Handke et Claude Régy, qui m’auront enseigné le peu que je sais, peut-être, sur la traduction - des heures à épeler le texte, le bégayer, même, chercher à percevoir au plus physique les articulations et les ruptures de la langue, les fines attaches du texte - travaillaient comme cela, en s’évertuant à rester vacants, affûtés comme des musiciens. Ils m’ont appris les vertus de la lenteur et du vide. Épurer patiemment la langue de tous les clichés et les lieux communs qui font écran à la perception vraie, à l’écoute pleinement sonore d’un texte (adolescent, l’idée d’être instrumentiste me semblait la plus belle qui soit). Ensuite c’est l’écriture proprement dite.
Pour Berlin le plus difficile aura été de respecter les séquences rythmiques. Je me suis toujours efforcé de m’effacer derrière le texte, de ne rien ajouter, de traduire le plus littéralement possible, quitte à forcer ou germaniser un peu la langue française. Chez Döblin dès le début la phrase dérape, claudique un peu, la coupe est rapide et inégale, de là ce déséquilibre permanent qui plaisait tant à Rainer W. Fassbinder. Pas le temps de réassembler, l’impression est livrée telle quelle, telle que vue, entendue, enregistrée, l’écriture marche au rythme de la rue, dissonante, heurtée, comme dans les airs de Charles Amberg & Fred Raymond.
Restait le problème de l’oralité, les choix à faire pour traduire la langue des bars à gnôle, des asiles de nuit de l’Armée du Salut. J’ai relevé toutes les fautes, les tics de langage. J’ai procédé par modification phonétique et/ou morphologique, altérant comme Döblin l’intégrité des mots par soustraction, élisions, apocopes, brisé la cohérence grammaticale de la phrase pour reproduire au plus près les mots « comme ils viennent » dans la bouche de Franz Biberkopf, joué sur les différences de potentiel, notamment quand l’un des personnages, s’adressant à un public ou à une personne qu’il juge supérieure à lui dans la hiérarchie sociale, fait un effort pour dissimuler et « taire » sa langue (et ce faisant l’exhibe plus nettement encore).
J’ai dû recommencer plusieurs fois l’introduction et les trois premiers chapitres afin que tout cela ne paraisse pas artificiel mais semble tout au contraire pris sur le vif, un peu comme Ingrid Caven disait chanter : « Je me contente d’être interprète, avec ce don d’offrir ce qu’on ne possède pas. L’intonation, les nuances me viennent dans la rue. A pas pressés, je laisse la ville sonner dans le texte ».

1 Il s’agissait plutôt d’une adaptation, comme Zoya Motchane elle-même le reconnaissait. Il manque des chapitres entiers, et la langue est simplifiée et lissée à l’extrême, comme s’il s’agissait de ne pas choquer le lecteur.

Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin
par Olivier Le Lay

Olivier Le Lay a traduit Elfriede Jelinek, Peter Handke, Arno Geiger. La retraduction de Berlin Alexanderplatz paraîtra début 2009 chez Gallimard

Olivier Le Lay Par Olivier Le Lay
Le Matricule des Anges n°96 , septembre 2008.
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