Relatant son interview, un journaliste écrit : « Tandis qu’Apollinaire répondait à mes questions, ses yeux regardaient distraitement par la fenêtre et sa main griffonnait ». C’est le fil de ces distractions que donne à voir ce choix commenté de dessins : depuis l’enfant qui s’essaie à enluminer un extrait d’Hérodiade jusqu’au blessé de guerre qui reprend ses travaux d’aquarelle, en passant par l’écrivain qui remplit les marges de ses cahiers d’innombrables croquis. Plumes et crayons mêlent alors sans apprêt visages, chimères, scènes de foire, comme pour accompagner rêveusement la naissance de l’écriture. À découvrir divers alphabets consignés ou les essais successifs de signature, il apparaît d’ailleurs que le poète n’a eu de cesse de fondre lettres et figures - ce dont témoignent bien sûr plusieurs œuvres fameuses (les calligrammes, les compositions en acrostiches, l’ultime poème-tableau « L’horloge de demain », tant novateur), mais aussi sa très riche correspondance de guerre. Celle-ci peut parfois être lue comme une sorte de reportage illustré des réalités du front ; quant à la part plus connue des lettres à Lou, l’écriture vient y combiner un entretien fiévreux et animé, aux lignes envahies par des silhouettes danseuses. On est certes loin de la puissance visionnaire des paysages d’Hugo, mais l’ambition n’est pas du tout la même ; et c’est attachant comme l’est toute la personne d’Apollinaire. De surcroît, cela dit synthétiquement et avec grâce le creuset du modernisme, où se brouillent les inspirations. « Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut/ Voilà pour la poésie ce matin pour la prose il y a les journaux » : ici affleurent les formes populaires, au même titre que l’art nouveau des peintres.
LES DESSINS DE GUILLAUME APOLLINAIRE
Choix et présentation de Claude Debon et Peter Read,
Buchet-Chastel, 160 pages, 39,50 €
Textes & images Les Dessins de Guillaume Apollinaire
novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98
| par
Gilles Magniont
Un livre
Les Dessins de Guillaume Apollinaire
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°98
, novembre 2008.