Partir en colonies de vacances au Touquet pour se retrouver coincé dans un château délabré, ça ressemble plutôt à un mauvais rêve. Mais le cauchemar des uns peut être le plus doux des rêves pour les autres. Quand ils découvriront ce que cachent les oubliettes du château, les forces de l’ordre parleront de fait divers tragique. Trente ans plus tard, date à laquelle Mestrel revient sur les événements, ces colonies de vacances demeurent son plus beau souvenir d’enfance. Pourtant tout commence mal. « Pour ma part, j’aurais bien aimé qu’on m’oublie sur mon siège, au fond du car municipal. J’avais onze ans et horreur des jolies colonies de vacances. » Le jeune Mestrel ne marche pas assez vite, pleure comme une fille, n’aime pas les lits de camps, les douches glacées, les balades forcées, les pique-nique avalés debout près d’un lac nauséabond. On comprend vite que pour le doux Mestrel ces vacances ressemblent plutôt à un camp militaire. Le voilà la proie toute trouvée de ses compagnons de chambrée, et celle de Muriel, monitrice tortionnaire. Personnage aux abois, que la communauté humaine effraye, il trouve en François, « Le fils de l’étoile », un alter ego. Être étrange et silencieux, comme lui, solitaire aussi. « Mon corps, en revanche, avait d’abord commencé à prendre ses distances. D’instinct. François m’effrayait. La révélation que je venais d’avoir m’effrayait. Je me tenais à quelques mètres d’écart, prudent, tournant autour de lui comme la Terre autour du Soleil. »
Les adultes figés dans un monde
absurde.
L’écriture de Marcus Malte avance à grandes enjambées, des mots comme des battements de cœur qui s’accélèrent. Entre ces deux apatrides se noue une relation passionnelle, une fusion des cœurs et des esprits comme seule l’adolescence peut en construire. En François, Mestrel découvrira son justicier, l’ombre rassurante où il glissera son ombre. Dans ce château hors du temps, ils trouveront un refuge inespéré. Son toit troué abritera cette union et son escalier de pierre ouvrira la voie aux secrets des douves pour assouvir les vengeances, ressusciter les esprits, donner corps au rêve de l’enfance désarmée.
De son écriture, Marcus Malte dit que tout commence par une musique, un son qu’il saisit. Souvent ses personnages viennent de sortir du sommeil, puis l’histoire demeure sur le fil, entre rêve et noirceur, conte onirique ou terrifiant. « Le fils de l’étoile » qui inaugure son nouvel ouvrage, donne la mélodie générale du recueil. Son ambiance fantastique, cette atmosphère de fin du monde, on la respire à nouveau dans « Le nom des fleurs ». Où les adultes, lointains, absents, idéalisés ou monstrueux restent figés dans un monde absurde. Pour Rose, Chardon, Lys et Iris, le compte à rebours commence. Voilà les trois dernières heures de leur vie. Sans un mot de trop. Travail d’équilibriste que celui de Malte où malgré un ton extrêmement méthodique - les adolescents ne laissent rien au hasard - s’entend la voix pleine et dense de ceux qui ont décidé de se battre. Entre le monde des grands et celui des enfants, pas de passerelle possible, mais des barrières à faire sauter. Marcus Malte dessine avec force cette distorsion à travers des personnages absolus, incorruptibles, qui la refusent.
« Le Père à Francis », qui clôt le livre, est certainement le seul à l’avoir compris. « Des fois quand il croisait ma mère ils se faisaient la bise et il lui disait Ton minot il va bien, encore quelques années et il sera au top si y fait pas trop le couillon. » Trois nouvelles qui permettent de réaliser la grande portée poétique, sombre et surréaliste de cet écrivain toulonnais.
Toute la nuit devant nous de Marcus Malte
Zulma, 126 pages, 15 €
Domaine français L’enfance désarmée
novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98
| par
Virginie Mailles Viard
À travers trois nouvelles noires et poignantes, Marcus Malte raconte des histoires d’ados qui portent le monde sur leurs épaules.
Un livre
L’enfance désarmée
Par
Virginie Mailles Viard
Le Matricule des Anges n°98
, novembre 2008.