La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine étranger Nostalgie de l’avenir

novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98 | par Dominique Aussenac

Dans un roman sur l’exil, le Roumain Catalin Dorian Florescu offre un luxuriant et prégnant hommage aux contes et aux livres.

Une légende roumaine prétend que le diable se glisse sur terre par la dernière fente du jour. Crépusculaire et gore, la Roumanie a généré des tas d’histoires rouges et noires d’empalés, de buveurs de sang, de dictateurs impitoyables. Ces faits ont-ils une base historique ? Fiction et réel apparaissent dans ce pays tellement imbriqués. Pas étonnant que la ville de Timisoara reste depuis décembre 1989 (après l’exhumation d’un faux charnier) associée à toute idée de manipulation médiatique. Déjà, dans les années vingt, un de ses natifs au cri tonitruant, Johnny Weissmuller maquillait ses papiers d’identité afin de participer aux Jeux olympiques en tant que citoyen américain. Le trucage, l’usage de faux, une industrie locale ?
Dans Le Masseur aveugle, son troisième roman, le premier publié en France, un autre enfant de Timisoara, Catalin Dorian Florescu, parvient à nous faire passer des deux côtés du miroir. D’abord en évoquant l’exil, le passage de frontières. Ironie du sort, son héros vend des portes et fenêtres sécurisées. Puis en faisant basculer la perception, vaciller la structure narrative. Le lecteur, dans un grand moment de trouble, perdra le fil de l’histoire, qui fonctionnera alors en boucle, mais surtout l’identité du narrateur. Irrespect, mensonge, sortilège ?
Né en 1967, Florescu fuit la Roumanie en 82 pour s’installer en Suisse où il devient psychothérapeute. A peu près le même chemin qu’emprunte Teodor, héros et narrateur du roman.
La dictature du présent,
de l’ignorance, de la médiocrité.

Adolescent, ce dernier recueillait auprès des paysans de villages reculés, des contes et légendes. Garder en mémoire toutes ces histoires obscures expliquant le monde ou aidant à le supporter lui paraissait essentiel. « Savais-tu que le chat hait son maître ? demandai-je. Il souhaite sa mort pour posséder la maison à lui tout seul. Quand quelqu’un meurt à la maison, on chasse le chat pour qu’il ne mange pas le nez du mort. Et quand il passe sous un cercueil, alors le mort devient un strigoi. Un mort-vivant. » Parfois il amenait avec lui Valeria, son amour fou. Amour qu’il finit par trahir, quittant en catimini le pays. Installé en Suisse, il vend de la sécurité, prospère, sans vraiment trouver de sens à sa vie. Vingt ans plus tard, il retourne en Roumanie. L’odeur d’ail d’un pope l’incommode. Les femmes se prostituent, les hommes arnaquent. Les Occidentaux se pavanent dans de grosses limousines. Son amour de jeunesse s’est marié, a un enfant. En bout de course, sa voiture heurte un rocher. Dans une station thermale isolée, il rencontre un masseur aveugle.
Cet aveugle nourrit une folle passion pour les livres, en possède trente mille, et autant de cassettes enregistrées. Mieux : il a su créer une grande communauté de lecteurs, fascinés par l’acte de lire. En les massant, Ion leur parle de littérature, les met en confiance, les aide à poser leur voix. Les enjoint à lire pendant le massage, puis chez eux, à s’enregistrer, à ramener livres et cassettes qu’il échangera. Chaque soir, il dirige un comité de lecture très alcoolisé où les intimes confient leurs vies, leurs rêves, leurs voyages mobiles et immobiles. Teodor va se fondre dans cette communauté jusqu’à perdre, voire échanger son identité.
Catalin Dorian Florescu est plus qu’un conteur, il réexhume des valeurs essentielles de mémoire, de transmission, de partage. Si son ouvrage évoque celui de Ray Bradbury et ses cohortes d’humains- livres, on y retrouve aussi l’esprit de Bohumil Hrabal et de sa Trop bruyante solitude qui présentait la fiction comme un flux vital, métabolique. Ces fables philosophiques condamnaient autoritarismes fascistes ou communistes et leurs autodafés. Florescu désigne ici un autre autoritarisme, celui de l’argent et de ses corollaires : la mondialisation du paraître, la dictature du présent, de l’ignorance, de la médiocrité érigés en modes de consommation.
Sa prose dévoile une large palette qui va du réalisme au fantastique, tout en passant par le poétique ou le picaresque. Toutefois, on ne retrouve pas la grande tonitruance et turbulence slave, mais une écriture plus intimiste, mâtinée de références aux littératures françaises (Flaubert, Zola) ou européennes.
Finalement, Ulysse et Teodor ont effectué le même voyage et retrouvé après maintes épreuves sensiblement le même territoire ; l’imaginaire. Mais sont-ils vraiment partis un jour ? Leur nostalgie est celle des origines et des fins, la souffrance de perdre tout ce qui a été et tout ce qui sera. « Dans l’intervalle il y a toujours beaucoup de place pour de la beauté. »
Le Masseur aveugle de Catalin Dorian
Florescu - Traduit de l’allemand par Nicole
Casanova Éditions Liana Levi, 348 pages, 21

Nostalgie de l’avenir Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°98 , novembre 2008.