J’ai trouvé un public pour pouvoir parler à ma guise et j’ai commencé par dire que mon rejet d’une identité personnelle (mon désir de n’être personne) n’était pas uniquement une attitude existentielle pleine d’ironie mais plutôt le thème central de mon œuvre. « Tout est dit : lorsque Vila-Matas se fait » diariste volubile ", c’est - comme toujours chez lui - dans la variété de ses humeurs, au miroir de ses lectures, à travers des villes aux noms espagnols, français, américains ou italiens, et en convoquant le souvenir d’amis ou les images de la Barcelone des années 50-60. Rédigé de 2005 à 2008, ce journal plonge en réalité bien plus loin, explore la mémoire, prenant prétexte de l’actualité pour, souvent, faire de son auteur le témoin médusé du flux changeant du monde : l’invention littéraire d’Enrique Vila-Matas a pour objectif de faire obstacle à cela, son agitation est réfractaire.
Journal volubile use de cette voix si particulière qui sait « rire d’une manière infiniment sérieuse ». Vila-Matas nous emmène dans les rayonnages préférés de sa bibliothèque de Babel, où siègent Kafka, Sebald, Gracq ou Gontcharov parmi les anecdotes littéraires et les aventures quotidiennes que l’auteur picore et/ou transcrit, en dilettante jamais rassasié qui inverse totalement le ressort et les usages du journal, un beau jour où il se rend à La Baule : « Je suis venu à La Baule pour pouvoir écrire que je suis à La Baule ».
Vila-Matas a l’immense talent de plaire, même - en fait surtout - lorsqu’il agace. Lorsque par exemple il allonge la liste des noms de ses amis célèbres, qu’une scène de rue lui rappelle « inévitablement » tel ou tel auteur, ou qu’emporté par son enthousiasme, il répète une chose déjà racontée plusieurs mois auparavant. Rien que de plus normal ni de plus de précieux, en fait, dans ces « sauts et gambades » et dans cette liberté prolifique : c’est peut-être là en effet que se donne à lire quelque chose qui se rapproche le plus de la vérité.
Journal volubile
d’Enrique Vila-Matas
Traduit de l’espagnol par André Gabastou, Christian Bourgois éditeur, 293 pages, 23 €
Domaine étranger Journal
avril 2009 | Le Matricule des Anges n°102
| par
Etienne Leterrier-Grimal
Un livre
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Par
Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°102
, avril 2009.