Quarto N°27 (Agota Kristof)

On la savait pudique (Le Grand Cahier ne sera jamais donné à lire avant d’être soumis à un éditeur), et également réservée quant à la diffusion de ses papiers personnels : « Cela ne regarde personne », dira-t-elle en 1993. Dix ans plus tard, Agota Kristof autorise pourtant le transfert de ses notes, brouillons et autres avant-textes aux Archives littéraires de la Bibliothèque nationale suisse, à Berne. Une concession qui ouvre la voie aux travaux des chercheurs, mais donne aussi voix aux amis et admirateurs. Quarto distribue équitablement le temps de parole : analyses littéraires et sociologiques charpentées côtoient des lettres d’amour réduites à leur plus simple expression, celle de la fraternité. En guise d’anti-conclusion, un cahier d’inédits dont l’on ne s’étonnera pas de la relative minceur ; selon Marie-Thérèse Lathion, qui en est la responsable, le fonds Agota Kristof « s’ouvre sur une perte » : celle de tous les écrits d’avant 1956, abandonnés en Hongrie au moment de la fuite, au même titre que la langue maternelle, dévorée par le français. De ses poèmes de jeunesse ne subsiste que celui qu’elle avait appris par cœur et transcrivit de mémoire en hongrois, avant de le traduire en français (« Berceuse »). Une perte matériellement irrévocable, mais dans l’essence de laquelle l’œuvre d’Agota Kristof puise toute sa signifiance, et même une sorte de plénitude.
Quarto N°27 (Agota Kristof), revue des archives littéraires suisses, 96 pages, 11 €