Il officie aux pages faits divers d’un journal sans envergure de Sardaigne, ne loupe jamais la diffusion des Simpson et de South Park, a une fâcheuse tendance à parler comme dans les feuilletons télé, fréquente d’un peu trop près des gens infréquentables, fricote avec des dames de petite vertu et ne déteste pas, en habitué des boîtes de nuit où clapote toute une faune interlope, snifer de la poudre blanche pourvu qu’on la lui offre. Ainsi va la vie de Rudy Saporito, personnage plus complexe qu’il n’y paraît de l’écrivain Francesco Abate, dont La Fosse aux ours nous a précédemment donné, en 2006, le roman Dernière journée de championnat. Derrière le rubriquard pisseur de copie, il y a en Rudy Saporito un écrivain méchamment contrarié qui ne demande qu’à être reconnu. C’est cette frustration qui sert de fil rouge à ce récit écrit à la première personne, dans un style très oral, très parlé, fait avant tout de lucidité implacable, de mauvaise foi et de cynisme. Au long de ce récit, le narrateur ne cesse d’arracher les masques de son entourage familial et professionnel. Tous les masques, y compris ceux dont il tente de s’affubler lui aussi, par lâcheté ou par hypocrisie. Ce gratte-papier noctambule pourrait jouer les Rastignac moderne s’il avait cette gniaque un poil mystique qui caractérise les ambitieux. Lui est plutôt du côté des loosers, écorché vif qui a un cœur de pierre pour ne pas avoir le cœur brisé. En soufflant le chaud et le froid sur ce personnage à mesure qu’il en raconte les déboires, Abate le rend attachant, ce qui, sincèrement, n’était pas gagné d’avance. Avec un goût prononcé pour le sarcasme, Francesco Abate entraîne son lecteur dans le milieu peu reluisant des sans-grade du journalisme, loin du gratin médiatique et des grandes plumes. Son roman est une tragédie qui ne dit pas son nom, une tragédie qui laisse entrouverte la porte d’un espoir, d’une autre vie, une vie qui ne serait plus une « course d’obstacles ».
Le Chroniqueur
sans cœur
de Francesco Abate
Traduit de l’italien par Marc Porcu,
La Fosse aux ours, 188 pages, 18 €
Domaine étranger Le chroniqueur
septembre 2009 | Le Matricule des Anges n°106
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Le chroniqueur
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°106
, septembre 2009.