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Domaine étranger Geste fatal

janvier 2010 | Le Matricule des Anges n°109 | par Yves Le Gall

Autour d’un huis clos entre un père et son fils isolés dans une cabane nichée en plein cœur de l’Alaska, David Vann a construit un drame déchirant.

Sukkwan Island débute telle une belle histoire de retrouvailles et de nature. Jim et son fils Roy, âgé de 13 ans, partent s’installer pour une année sur une île du sud-est de l’Alaska. Ils vont vivre de chasse et de pêche dans cet endroit magique environné de mer et de montagne. David Vann donne à la beauté des lieux une telle intensité qu’elle en devient féérique, presque irréelle. Le rythme des phrases suscite le désir de découvrir ces paysages grandioses.
« N’importe quel garçon aurait envie de vivre cette aventure avec son père. » Enfin, c’est l’avis de Jim et beaucoup moins celui de Roy. Leur installation traduit l’impréparation à une vie rude et sauvage des deux apprentis-pionniers. Il faudra survivre. Et surtout, il y a ce difficile et incessant face à face entre le père et le fils. On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec La Route de Cormac McCarthy.
David Vann dont le père s’est suicidé alors qu’il avait le même âge que Roy réécrit-il sa propre histoire ? Il dédie affectueusement le roman à son père qui l’a abandonné si tôt, ce qui n’exclut pas qu’il ait des comptes à régler avec lui. Jim confie à son fils qu’il a raté sa vie, comme si cela pouvait alléger son désespoir. L’inverse va se produire et tout porte à croire que Jim va mettre fin à ses jours. Mais ce sera un geste terrible de Roy qui fera basculer soudain Sukkwan Island dans l’horreur. « Jim avait tenu son fils pour acquis. » Roy montrera à son père qu’il s’est trompé. Aucun effet de dramatisation, et la sobriété même de l’écriture suffit en donnant au geste de Roy un relief saisissant à provoquer le frisson. Aucune explication car aucune explication n’est possible. Jim réalise seulement que « Roy l’avait aimé et que cela aurait dû lui suffire ». Mais il est trop tard.
Le drame était pourtant inéluctable. S’imaginer que de vivre au cœur d’une nature splendide permet de résoudre tous les problèmes tient de l’illusion. L’effroi succède inévitablement à l’enchantement, la solitude se fait pesante, « La pluie dense et le monde qu’elle emprisonnait étaient tout ce qu’ils connaîtraient ». Dans cette cabane qui semble se rétrécir et s’assombrir au fil de la narration les relations deviennent vite insoutenables entre père et fils. Jim se transforme sous les yeux de son fils en un être fantomatique, dénué de consistance « dont la présence ne tenait qu’à la volonté de Roy ». N’étant jamais parvenu à gagner le soutien de son fils dans ce défi impossible d’en finir avec son passé il s’est condamné à ne vivre que de ses manques et ses regrets. Une fatalité sombre « le trou, la boue, les parois qui s’affaissent… une grisaille sans profondeur ni fin » semblent à tout moment menacer de le happer.
Mais à force de soutenir son père, ce père-enfant qui a sans cesse besoin d’être rassuré tel « un tout petit bébé doré, recroquevillé sur lui-même à l’intérieur d’un corps d’adulte », Roy se mettra en péril. Cette étrange inversion des rôles ne pouvait avoir qu’un dénouement effroyable. David Vann nous le fait habilement comprendre très tôt dans son récit… et le suspense s’installe. Jamais David Vann ne s’attarde. Il se contente de dresser un tableau dépouillé, de ces deux êtres cloués dans leur refuge, jusqu’au moment où les ressorts lâchent et où la violence a le dernier mot.
Sukkwan Island est un cheminement bouleversant au cœur des zones les plus douloureuses de l’existence humaine. Beau texte, tragique et sombre par lequel David Vann semble avoir cherché une réponse personnelle à la question qui le torture : « Pourquoi les humains mettent-ils parfois fin à leurs jours ? »

Sukkwan Island de David Vann
Traduit de l’américain par Laura Derakinski
Gallmeister, 200 pages, 21,70

Geste fatal Par Yves Le Gall
Le Matricule des Anges n°109 , janvier 2010.
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