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Vu à la télévision La vie des saints

février 2010 | Le Matricule des Anges n°110 | par François Salvaing

Au Vatican, on devenait saint, Timothée suivait ça de près, par étapes. À la télé, par rafales. Pie XII (pape qui aurait sauvé des juifs à l’insu de son silence sur la Shoah) devrait, quelle que soit l’impatience à le promouvoir de l’actuel occupant du Saint-Siège, consommer encore un peu d’éternité avant d’accéder au statut suprême et au calendrier des Postes. Disparu deux ans après Eugenio Pacelli alias Pie XII, Albert Camus, lui, avait été bombardé icône de son vivant et il était régulièrement re-canonisé par les instances médiatiques cardinales. Un type, malgré qu’il avait les pieds-noirs, qui voulait rien que la vérité et la justice, mais que personne il l’écoutait, total que ça avait été la guerre de l’Algérie avec son cortège.

Camus, faut dire, offrait, sa vie son œuvre, de quoi ressortir albums et clichés. Il y a trois ans on avait pu célébrer le cinquantième anniversaire de son prix Nobel (pas si souvent qu’un écrivain français tralalallait à Stockholm porter la queue de pie) et celui de sa mort tombait en ce début de décennie mort d’icône, s’il en fut, d’un accident de bagnole. À la James Dean. Numéros spéciaux dans les kiosques, Le Figaro, Le Monde, Télérama, à la radio semaine à lui dédiée par France-Culture. Et à la télé, un soir c’était dans les 20 heures, le Nobel, le platane ; le lendemain un téléfilm, le surlendemain un talk-show suivi d’un docu. N’en jetez plus. Timothée grinçait, trouvant en Camus le romancier laborieux, le dramaturge poussiéreux, le penseur brumeux et le politique frileux. Mais il était mal placé pour échapper à ces bourratives commémorations, cerclé qu’il était de femmes de tous âges pour qui jamais aucun écrivain, sauf peut-être André Malraux, n’avait avec autant d’élégante virilité laissé pendre de sa lippe sa clope.

Il restait sans illusions. Qu’il eût tort ou raison sur Camus, ce n’est pas la télé qui modifierait sa vision. Il avait toujours connu la télé en grande difficulté avec les écrivains. Dans les émissions prétendument littéraires ou dans les fictions inspirées, comme on dit très mal, de la vie de tel ou telle (récemment Sartre, Beauvoir, Sagan…), il était question de tout, à peu près, sauf des textes. Son texte est d’un(e) écrivain(e) le sein que la télé ne saurait voir ni montrer. Elle voit et montre la chevelure ou la calvitie, les yeux, les dents, les mains de l’écrivain(e), son poitrail parfois. Elle permet de connaître son accent, son rythme respiratoire, son goût vestimentaire, invite à jalouser ou déplorer les signes d’aisance ou de gêne par lui ou elle exhibés. Mais son texte ? Bribes par ci, par là, écorchées par le présentateur pressé ou par l’auteur embarrassé. Dans le meilleur des cas, quelques lignes en insert, souvent manuscrites et difficilement déchiffrables. Timothée comparait la télé devant la littérature à la fameuse poule face au fameux couteau.

Pas plus qu’un autre, le téléfilm sur Camus n’introduisit dans la fabrique et le mystère de l’écriture. Un plan où l’on aperçoit de loin l’écrivain à sa table de travail. Un autre où il a aussi le stylo en main, mais c’est pour signer des autographes. Seul aperçu intéressant : une courte séquence où l’épouse émet des réserves précises sur un manuscrit. Ah ce personnage de Francine Camus ! Timothée lui voue une grande reconnaissance. Grâce à lui, il a malgré tout appris quelque chose de l’Homme encensé. Francine, un soir suédois, rentrant dans leur suite de Nobel, jette son étole sur le lit en disant : « J’ai honte ! » Elle a ses raisons de femme vacillant au bord du suicide pour prononcer cette phrase. Mais elle éclaire en même temps ce que de ses propres situations pense Camus. Qu’il est dans l’imposture. Non de son fait, mais de celui des circonstances. La honte, voilà la clé, Timothée s’en persuade. D’avoir survécu à son père. D’être né pauvre et de la couleur des dominants dans un pays colonisé. De n’être plus pauvre. De ne savoir, de ne pouvoir choisir entre les convulsions assassines d’un ordre moribond et le sanglant désordre d’une gésine. Accessoirement, d’être moins bon écrivain que quelques autres et pourtant préféré. La honte. Relire avec cette grille L’Etranger, La Peste et La Chute, romans peut-être moins surfaits que ne se l’imaginait Timothée.

À peine Albert Camus en son paradis, la télé avait programmé de fêter (docu, plateaux) saint Lionel Jospin, lui qu’avait, mesdames et messieurs, donné ses vies à La Gauche : vie publique, vie privée, vie secrète, vie d’après mon retrait de la vie politique. Dans la cérémonie, Jospin faisait aussi l’officiant, un sacrifice total. Hélas ! L’effet fut de brévissime durée, car Philippe Séguin, homme politique fan de foot, choisit ce moment-là pour changer de tribune, de l’officielle à l’éternelle, et tous ses collègues qui l’avaient traité de chieur toute sa carrière, le déclarèrent saint vu d’au-dessus du cercueil. Un début d’année décidément exceptionnel où ça s’était bousculé au portillon. Timothée y avait même contemplé le policier de nos frontières en candidat à l’assomption télévisuelle. À tour de bras expulser les pauvres gens et du coin des lèvres parler l’humanisme sans accent, ne constituait-il pas un numéro si difficile qu’il confinait à la sainteté ? Éric Besson était trop modeste pour nous poser la question, mais trop franc pour nous cacher qu’il se la posait.

La vie des saints Par François Salvaing
Le Matricule des Anges n°110 , février 2010.
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