Une femme se heurte à la jouissance hermétique des corps appariés. Inconsciente, elle invite l’Autre de son désir à cueillir sa « chair blanche, ombrée de rose où ça s’ouvre ». Un inconnu qui, pour s’être enfoncé dans cette intimité trop obscure, n’entend ni ses cris, ni ses supplications. Comme une bête traquée, au volant d’un break rouge, l’homme, insensible au défilé du paysage urbain, traverse maintenant Dresde, Nuremberg. À Munich, sinuant entre bosquets et pins, son regard se porte sur les mouvements voluptueux d’une nageuse. Un jour passe, deux peut-être, sur le quai de la gare de Graben-Neudorf, ville de la province allemande, il est 22h10, l’homme attend l’arrivée d’un train pour Strasbourg. Plus tard, dans un square de la capitale alsacienne, une jeune dessinatrice sera troublée par l’étrange aura de ce « meurtrier » qui - on le devine ; elle ne l’ignorera pas longtemps - souffre de ne pouvoir exprimer son irrépressible envie de tuer. Amoureuse, elle l’accompagnera dans sa fuite. Ensemble et cependant seuls dans la solitude silencieuse des mots, « quelque part dans la grande nuit là-bas du commencement », ils s’abîmeront.
Peu d’auteurs parviennent à écrire sur ce thème ô combien délicat, sans aplomb moral. Le poète Gérard Haller propose un récit qui, au rebours de phrases désossées, d’ellipses narratives et de dialogues tendus jusqu’à l’indéterminé, instille une angoisse latente. Hanté par la présence ponctuelle d’un clochard, homme expulsé du dedans, et le souvenir de proches, victimes des camps, Deux dans la nuit infuse une indicible mélancolie. Une mélancolie que semble incarner l’ombre revêtue d’une robe noire du sommeil de l’homme ; figure à la fois familière et « infamilière » qui fait de chaque rapport sexuel, impossible, un rapport incestueux et meurtrier.
DEUX DANS LA NUIT
dE GÉRARD HALLER
Galilée, 98 pages, 18 €
Poésie Deux dans la nuit
avril 2010 | Le Matricule des Anges n°112
| par
Jérôme Goude
Un livre
Deux dans la nuit
Par
Jérôme Goude
Le Matricule des Anges n°112
, avril 2010.