La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Vu à la télévision Instruction en cours

octobre 2010 | Le Matricule des Anges n°117 | par François Salvaing

Comme à la porte d’un plateau de cinéma le rouge est mis pour signaler qu’On tourne et qu’interdite est l’entrée, ici une pancarte Instruction en cours. Elle la place puis elle regagne son bureau et se penchant sur son sac à main, refait subrepticement son maquillage. C’est une jeune magistrate, depuis peu sortie de l’école, qui entame une partie dont elle est très loin de mesurer où elle va la mener.

Dans l’un de ses derniers (et rares) entretiens, Julien Gracq aurait déclaré qu’à ses yeux, entre les lignes de toute œuvre littéraire affleurait l’ensemble de la littérature mondiale. Timothée aime cette idée et pense qu’on peut la décliner à l’infini. L’image par exemple qu’il se fait des magistrats est, devant chaque nouvelle représentation, marquée par toutes celles qui l’ont précédée, notamment à la télévision. Pour le meilleur et pour le pire. Ainsi, quand il entre dans le documentaire de Clarisse Feletin sur La Juge et les dioxines, est-ce avec les ombres prégnantes de la minaudante magistrate de Boulevard du Palais, comme de, pesante et lointaine, la Simone Signoret de Madame le Juge. Quand il en sort, c’est autre chose. La fréquentation pendant une heure et quart (condensé de cinq ans de travail) d’Hélène Gerhards-Lastéra, juge d’instruction au tribunal d’Albertville, l’aura pour ainsi dire lavé de toutes les représentations antérieures, qui ne lui apparaîtront pour les moins fantaisistes d’entre elles que comme de la mythologie de pacotille.

Ouverture du dossier en 2002, clôture en 2007. À l’origine, les plaintes d’habitants de Gilly-sur-Isère qui attribuent aux émanations d’un incinérateur d’ordures ménagères le nombre anormalement élevé de cancers dont est frappée leur commune (un cinquième du conseil municipal) et la maladie qui en décime les bovins. L’incinérateur qui, vérification faite, émettait 750 fois plus de dioxines qu’il n’était toléré selon les réglementations européennes, a été fermé. Six mille bêtes ont été abattues. Une rue de Gilly a été rebaptisée rue aux cancers

Brecht aurait aimé cette histoire, son côté Bonne âme de Sé-Tchouan ou Sainte-Jeanne des Abattoirs. La petite magistrate, sans doute un brin scolaire encore, qui se pose méthodiquement les questions, et utilisera pour y répondre les moyens que le code de procédure met à sa disposition, va déclencher un incendie qui peu à peu, d’Albertville, gagnera la place Vendôme à Paris. L’usine a-t-elle respecté les normes ? se demande-t-elle devant la caméra. Si non, les a-t-elle délibérément ignorées et violées ? Enfin : La population a-t-elle été sciemment exposée ? Pour cela elle interroge, ça va de soi, les ouvriers de l’usine d’incinération, leur directeur. Puis comme tout le monde lui déclare que tout le monde savait le matériel défectueux, elle remonte dans diverses directions la chaîne des responsabilités : la communauté de communes dont les déchets étaient traités, l’entreprise à laquelle appartenait l’usine, la direction régionale qui avait pour mission de veiller à la conformité des installations, la préfecture, les ministères concernés… Et la juge procède comme on le lui a appris, par convocations, perquisitions, expertises… L’un des hauts fonctionnaires en poste à l’époque en Savoie et grimpé depuis géographiquement comme hiérarchiquement, apprenant qu’il est mis en garde à vue, s’insurge : il avait d’importants rendez-vous, et s’effare : Comment cela : en cellule ? Peut-être croyait-il que la justice disposait d’hôtels pour des gens de son rang.

Les pressions, bien sûr, ne manquent pas à la juge, au fur et à mesure de l’instruction. Le procureur, son supérieur hiérarchique, demande même (sans que cela lui soit soufflé, prétend-il) son dessaisissement, au prétexte des moyens insuffisants dont disposerait, face à l’ampleur de l’affaire, le tribunal d’Albertville. Mesure rarissime contre laquelle, plus rare encore, elle va oser se pourvoir en cassation.

Tout cela sans véhémence ni pose héroïque. Hélène Ger- hards-Lastéra est simplement déterminée à établir, c’est son rôle, la vérité. Et quand elle bouclera son dossier (3 600 pièces cotées), ce ne sera à la satisfaction de personne. Oui, on a laissé fonctionner une usine gravement polluante. Non, aucun lien n’a pu scientifiquement être noué entre ce dysfonctionnement et le taux anormal de pathologies cancéreuses très diverses.

Quelques jours plus tard après la diffusion de La Juge et les dioxines, Claude Chabrol casse sa pipe. Le soir même une chaîne repasse, Timothée l’aurait parié, le démarquage qu’il a tourné de l’affaire Elf où, sous le nom railleur de Jeanne Charmant Killman, Isabelle Huppert interprète comme on vitriole une magistrate devenue célèbre, Mme Eva Joly. À le revoir, plus sarkozyste tu meurs, estime Tim. Les fonctionnaires qui tentent d’appliquer aux puissants la loi commune y sont accusés d’éprouver, c’est le titre, L’Ivresse du pouvoir. Juge d’instruction ? Que la bête meure !, pour reprendre un autre titre du disparu – et la volonté présidentielle.

Les méandres de l’affaire des dioxines et de la démarche de la jeune magistrate d’Albertville témoignent, au contraire, avec une humble ténacité, de l’importance pour la Cité de ce rôle-là. Hélas, et sans surprise, c’est aux environs de minuit qu’était offerte cette instruction en cours, passionnant cours d’instruction civique.

Instruction en cours Par François Salvaing
Le Matricule des Anges n°117 , octobre 2010.
LMDA papier n°117
6,50 
LMDA PDF n°117
4,00