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Domaine étranger Roman-fleuve

octobre 2010 | Le Matricule des Anges n°117 | par Dominique Aussenac

Ravivant la mémoire de l’Ebre, l’écrivain catalan Jésus Moncada (1941-2005) pare la nostalgie de crépusculaires éclats sang et or.

Le Testament de l’Ebre

Faire le bonheur des citoyens malgré eux, quoi de plus banal. Spolier les gens de leur terre : monnaie courante. Aujourd’hui, en Chine, avec la construction de gigantesques retenues d’eau. Hier, sous Franco, par sa volonté d’irriguer et d’assurer la production électrique de l’Espagne.
Jésus Moncada, traducteur d’Apollinaire, Jules Verne et Boris Vian, naquit à Mequinensa, bourgade au confluent de l’Ebre et du Sègre, qui fut détruite, noyée par un barrage et reconstruite dans les années soixante-dix. Ce lieu, presque un palimpseste, hante son œuvre (cinq romans et cinq recueils de nouvelles). S’il est un des écrivains catalans les plus traduits au monde, seuls Les Bateliers de l’Ebre (Seuil, 1992) et Frémissante mémoire (Gallimard, 2001) l’ont été en français. Le premier, dans la flamboyante version de Bernard Lesfargues, vient d’être réédité sous un titre différent, Le Testament de l’Ebre.
Ce fleuve, le plus puissant du pays, a un statut particulier. Sacré, il a donné son nom aux Ibères, « ceux de la rive du fleuve ». Fédérateur, il coupe tranversalement l’Espagne. Né en Cantabrie, près de l’océan Atlantique, il se divise en Méditerranée par un delta, du côté de Tortosa. Il fut aussi le théâtre de la dernière offensive républicaine en 1938. Dompter ce fleuve païen, impétueux, et les lieux comme Mequinensa qui avaient abrité les combats peut être perçu comme doublement symbolique.
Moncada, à travers ce roman-monde, entreprend un travail de et sur la mémoire, sa restitution, ses manipulations et ce qui subsiste dans l’imaginaire et l’ (in)conscient collectif. « - Tisser et détisser, mais c’est toujours le même fil, conclut Sofia… »

Mélancolique, tragique et picaresque.

à l’instar des llaüts, ces bateaux à fond plat qui transportent les marchandises, Moncada sillonne en d’incessants allers et retours, d’amont en aval, près de cent cinquante ans d’Histoire, du souvenir des exactions napoléoniennes jusqu’aux années soixante-dix. Plus philologue qu’historien, il redonne vie à toute l’infrastructure économique, les métiers, petits et grands, liés au fleuve et aux mines de charbon avoisinantes. Il évoque les innovations technologiques, les classes sociales, leurs rapports, les luttes. Chaque fait (crues, prospérité, crises, grèves, guerres, construction du barrage, destruction du bourg) résonne de destins humains. En même temps, il est confronté aux différentes perceptions qu’en ont les protagonistes. Du manœuvre à l’aristocrate, du patron de mines aux bateliers ou aux autorités militaires et religieuses, les visions se multiplient, s’opposent, se répriment. Enfin, par un effet de tuilage narratif, l’évocation des événements passe par le crible du temps, des nouvelles idéologies ou des nouvelles tendances. Dès la première page, la destruction du village est re-interprétée. Dans la mémoire collective, il le fut le 11 avril 1970. En réalité, cela faisait déjà treize ans que la destruction était en marche. « L’automne 1971, seconde année des démolitions, l’itinéraire suivi par l’enterrement n’était plus qu’une très longue balafre dans ce qui avait été l’artère principale de la ville pendant près d’un millénaire. »
Le souffle épique qui balaie le récit atténue la thématique tragique, la spoliation d’un passé. Si la mélancolie perce dans les descriptions de paysages, de fils de l’eau, de couchants aux couleurs vieil or, le roman grouille de vie, de personnages truculents, flirte avec le picaresque. Les bateaux, les berges du fleuve et surtout les tavernes, le cabaret-bordel, les salons de l’aristocratie mettent en résonance les polyphonies Les gens s’épanchent, communiquent, ragotent, complotent. On croise des lignées de patrons bateliers d’où se détache Arquimedes Quintana aux allures de Poséidon. Madamfransouza, la chanteuse de l’éden, fréquenté par les miséreux comme les puissants, d’égérie s’instaure déesse de l’amour. Le pharmacien, aux idées républicaines, échappe, tel Ulysse, aux incarcérations. Si un fond naturaliste prévaut, le réel y est souvent distordu et la vérité incroyable. Ainsi le franquisme décrétant qu’un pont avait été construit, un commandant demande à le traverser. Il n’existait que sur les cartes d’état-major… Le fantastique affleure maintes fois. à travers les fresques et portraits de l’aède-peintre local qui traversent toutes les époques et continuent à émouvoir, interloquer. « La pelle dentée d’une machine frappa la base du mur ; le crâne tomba sur un fragment de cloison de l’ancienne cellule de la sainte religieuse où l’artiste avait modelé dans des tons roses la fraîche turgescence des seins d’une Aphrodite. » Des statues de saints, volées dans une église, jetées à l’eau se transformant en divinités marines. Un cri qui parcourt foule et mémoire. L’écriture ample, toute en volute, descriptive, métabolique se joue des contrastes : lumière-zones d’ombre, tonitruance et silences, expressions du collectif et de l’intime. Superbe.

Dominique Aussenac

Le Testament de l’Ebre
Jésus Moncada
Traduit du catalan par Bernard Lesfargues
Tinta Blava/Autrement, 310 pages, 19

Roman-fleuve Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°117 , octobre 2010.
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