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Traduction Olivier Deparis*

janvier 2011 | Le Matricule des Anges n°119

Spooner de Pete Dexter

Spooner est-il à ce point indéfinissable que Pete Dexter lui-même, devant l’assemblée de libraires auxquels on lui demandait de le présenter lors du salon BookExpo America 2009, s’en déclara incapable et se proposa, provoquant l’hilarité générale, d’en détailler le contenu par ordre alphabétique (A comme Asthmatique, etc.) ? Après avoir traduit son premier roman (God’s Pocket) et son dernier en date (Train), j’avoue que j’attendais beaucoup de celui-ci, présenté par son éditeur américain comme l’aboutissement de son œuvre. J’ai été servi au-delà de mes espérances.
Ce qui frappe avant tout dans Spooner (et inquiète le traducteur qui se met à la tâche), c’est la rupture stylistique radicale avec les ouvrages précédents. Pete Dexter, c’est habituellement des phrases courtes, une concision absolue, à la limite de ce que permet la langue (et de ce côté-là, le français en permet sans doute encore moins que l’anglais). Traduire Pete Dexter pourrait s’apparenter en temps normal au pilotage d’une voiture de Formule 1 (ou à l’idée qu’on s’en fait) : une formidable impression de puissance, une nervosité grisante, et à tout moment la menace de quitter la piste. Avec Spooner, on serait plutôt au volant d’un semi-remorque, lancé, sans freins, dans la descente du col du Galibier. Les phrases s’allongent au fil de la pensée du narrateur, avec des incises et des incises dans les incises, et on sent le malin plaisir de l’auteur à réaliser ces numéros d’équilibriste.
De fait, si Pete Dexter est considéré par beaucoup (Jonathan Franzen en tête) comme un styliste, il reste avant tout un rebelle, même pour ce qui est de la syntaxe. Les règles, il a du mal avec, comme il s’en explique dans ses remerciements fleuve en fin d’ouvrage (des remerciements hilarants, qui n’ont de remerciements que le nom) et l’exprime à travers son double littéraire, Warren Spooner, soumis, enfant, à d’innombrables règles qu’il ne comprend pas.
Car c’est là la principale rupture de ce roman avec le reste de l’œuvre : sa part autobiographique parfaitement assumée. Spooner, comme Dexter, est élevé par son beau-père en Géorgie, devient journaliste à Philadelphie et s’installe plus tard avec sa femme et sa fille à Whidbey Island, en face de Seattle, pour écrire des romans (il donne même une lecture publique de Deadwood – pour le règlement de comptes avec l’auteur de la série d’HBO, se reporter là aussi aux remerciements –, dans des circonstances tellement rocambolesques qu’on se réjouit de les penser authentiques). Comme Dexter il passe des semaines à l’hôpital et voit tous ses repères bouleversés après avoir été roué de coups par une bande de petites frappes qui n’ont pas apprécié le papier qu’il a écrit sur la mort de l’un des leurs. Cet événement, déjà évoqué dans God’s Pocket, est sans doute présenté ici dans sa version la plus proche de la réalité.
De là à voir Dexter dans tout ce que fait, dit et pense son avatar fictionnel, il y a un pas que le principe du roman autobiographique interdit de franchir. Tout est vrai sauf ce qui ne l’est pas, et seul l’auteur (dans le meilleur des cas) est capable de distinguer l’un de l’autre. Quant aux esprits grincheux qui voudraient réduire Spooner, et avec lui Dexter (s’appuyant peut-être sur ses anciennes chroniques journalistiques, récemment rassemblées dans un recueil inédit en France et qui, elles, pour certaines, relèveraient plutôt de l’autofiction), à un affreux réactionnaire homophobe et misogyne, un chantre de la loi du talion, ils commettraient, je crois, le même type d’erreur que la hiérarchie de Spooner à ses débuts dans le journalisme :
L’indifférence totale de Spooner à la fois pour le progressisme et les plans d’aide sociale transparut à travers ses articles comme des phares dans le brouillard. Les gens importants du journal prirent cette indifférence pour un mépris subtil, et Spooner devint ainsi, brièvement, le chouchou de la rédaction.
Dexter s’attaque au « politiquement correct » comme on pêche la truite à la grenade, avec une outrance disproportionnée qui l’affranchit de tout carcan idéologique. Si écrire c’est jouer à être Dieu, il est un Dieu farceur et malfaisant. Chez lui, les cercueils qui devraient couler flottent, les barques qui devraient flotter coulent, les fosses septiques débordent (très important, les fosses septiques, dans Spooner)… Il écrit actuellement sur les éléphants. Ça devrait barder dans les magasins de porcelaine.
Et c’est en cette application consciencieuse, systématique, de la loi de l’emmerdement maximum que Spooner, qui n’est pourtant pas un roman noir, s’inscrit dans le droit fil de tout ce qu’a écrit jusqu’ici Pete Dexter, car l’esprit du roman noir y est omniprésent ; il est dans le regard que porte l’auteur sur la vie en général et sur la sienne en particulier.
Face à un texte un tant soit peu à l’écart des sentiers battus, le traducteur a tendance à chercher chez des auteurs écrivant dans sa langue des liens de parenté qui l’aideront à construire son propre texte à partir de l’original. Les mariages auxquels j’ai abouti pour Spooner sont tellement incongrus que je préfère ne pas les dévoiler ici (pauvre Pierre Michon, les partenaires que j’ai imaginés pour lui…). C’est au fond cela que je retiendrai de Spooner, ce mélange des genres extrême qui rend ce roman grotesque et bouleversant à la fois. Une prise de risque – pour l’auteur et donc pour le traducteur – totale, un grand écart permanent. Ce qui est assez cocasse quand on sait que Pete Dexter est truffé de vis et de boulons et que je n’ai moi-même jamais réussi à toucher le bout de mes pieds sans plier les jambes.

* Olivier Deparis a traduit entre autres James Hawes, Greg Keyes, James Lee Burke, Clancy Martin. Spooner paraît en février à L’Olivier.

Olivier Deparis*
Le Matricule des Anges n°119 , janvier 2011.
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