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Vu à la télévision Au(x) feu(x) !

avril 2011 | Le Matricule des Anges n°122 | par François Salvaing

La grande différence entre le Japonais et le Français – finit par comprendre Timothée – est que pour le Japonais les catastrophes font partie de la nature, tandis que pour le Français : du Jité. Car il assistait, depuis le 11 mars (décidément les 11 !!! au XXIe siècle), à une quête éperdue, non seulement d’idées pour refroidir les réacteurs de Fukushima, mais de l’homo japonicus. Le Japonais était pudique, était stoïque, silencieux, digne, maître de lui, le Japonais ne manifestait ni ses émotions ni dans les rues contre les dirigeants politiques et économiques qui n’avaient pas su éviter l’abîme et qui, maintenant que l’abîme s’ouvrait, tentaient de le lui dissimuler. Du moins c’est le portrait qui émanait des comptes-rendus admiratifs des envoyés spéciaux qu’on voyait matin, midi et soir, devant les images de désolation où s’emmêlaient les traces du séisme et celles du tsunami, emmitouflés (s’il faisait plus de cent degrés dans la centrale, le thermomètre descendait sous zéro dans le pays), manifestement remués par la compréhensible angoisse, au train où allaient le feu et le vent, de périr ou de survivre (quel était le pire ? ) irradiés eux aussi.

Les envoyés spéciaux invoquaient, à l’appui de leur description, des adages paraît-il enseignés là-bas dès le berceau, comme Tout ce qui a une forme est appelé à disparaître. Ils évoquaient aussi, mais le moins possible, du bord des lèvres (pour ne pas réveiller chez le téléspectateur l’anti-américanisme primaire ? ), l’expérience unique, inoubliée, qu’avait ce peuple de l’enfer. Hiroshima, Nagasaki… Tiens, personne n’était allé, note Timothée (mais peut-être avait-il manqué, un jour, un reportage), interroger la population de ces villes sur l’écho forcément particulier en elles du groupe nominal danger nucléaire. Et tiens, personne (ou ça lui avait échappé) n’avait signalé ce que, pour faire place aux informations sur les événements en cours, les télévisions japonaises avaient supprimé de leurs programmes : les émissions culinaires ? les jeux ? les reality shows ?

Audimat sait pourtant si Timothée est vacciné : les catastrophes étaient au quotidien menu des Jités, et quand un tremblement de terre, un cyclone ou une éruption volcanique faisait défaut, un accident d’autobus ou même l’arrachage du sac d’une vieille dame à la sortie d’une banque pouvait en tenir lieu, pour peu qu’on eût des images. Pourquoi les tragédies japonaises le mettent-elles en pareil en émoi ? Il y a des évidences : l’énormité des faits, leur enchaînement, la proximité du niveau de vie – c’est un pays du G8 qui est frappé, et non plus Haïti ou le Bangladesh. Il y a la brutale mise en doute de certitudes que plus ou moins mollement il partageait sur notre mode de développement garanti n’est-ce pas par l’énergie nucléaire. Les Jités, à ce sujet, marchaient sur des œufs, citaient l’un pour et l’autre contre, mais se comportaient comme s’il était indécent (un mot très en vogue, jusque dans les bouches les plus inattendues sur ce chapitre), indécent d’ouvrir, en plein naufrage, un débat sur le pilotage du navire. Ils évitaient aussi d’insister sur la nature privée de l’opérateur japonais, Tepco, en charge de la centrale de Fukushima, l’incidence de cette nature sur ses comportements avant et pendant la catastrophe, de crainte sans doute d’attirer l’attention sur l’évolution, du public vers le privé, du statut de l’opérateur français, EDF.

Mais, au fond, ces bateaux fracassés par la vague sous le tablier d’un pont qui ne tardera pas à se disloquer, ou par elle hissés sur les toits d’immeubles d’ailleurs eux-mêmes à la dérive, ces illisibles étendues de gravats qui furent des villes avec leur centre, leur logique, leurs activités, ces hangars peuplés de sans-abri qui ne sont rescapés d’un drame que pour être menacés d’un autre, ces foules qui se masquent tout en s’avouant conscientes du dérisoire de cette protection contre le foudroyant ennemi invisible qui mijote à Fukushima, et coetera, toutes ces images, Timothée les ressent comme celles d’une répétition, d’une alerte, d’une annonce. Elles figurent, immenses pourtant, la miniature d’une apocalypse promise à la planète par l’humanité même.

Huit jours après le début de ses drames (et combien de lustres avant leur dépassement ? ), le Japon céda sa place en tête des Jités à la Libye. Les aréopages occidentaux étaient en séminaire, voilà, décrétèrent-ils, un incendie comme ils savaient en éteindre. Au demeurant le colonel Kadhafi s’était inscrit au répertoire dans le rôle du diable depuis assez longtemps, quarante-deux ans. Même si avec des éclipses qu’il avait sollicitées et qu’on lui avait accordées au prix de contrats (par exemple livraison par la France d’un réacteur) que les Jités avaient la pudeur de ne pas rappeler ou découvrir. Et donc pour la photo du jour, remplaçant la jeune Japonaise qu’on avait vue à l’unanime Une de tant de magazines, droite et digne dans les décombres, enveloppée dans une couverture blanche, symbolique à la fois de son innocence et de l’espoir dont elle restait malgré tout hantée, on eut droit à un parterre de dirigeants, belles consciences au premier rang desquelles les chefs de guerre, français, britannique et américain, puissances nucléaires majeures, pyromanes en immaculées tenues de pompiers.

Au(x) feu(x) ! Par François Salvaing
Le Matricule des Anges n°122 , avril 2011.
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