Voilà un livre surprenant, tant par sa forme et sa facture que par son contenu. Surprenant en toute légèreté et avec grâce, ce dont le lecteur souvent éprouvé par des exploits formels de nos contemporains sait infiniment gré à l’auteur. Celui-ci, né en 1940, a écrit une douzaine de romans dont il s’agit d’un troisième traduit (de l’anglais) en français. Le texte se présente d’un seul tenant, une compacte pièce d’écriture sans nul alinéa et sans guillemets, pas même pour passer de la parole rapportée à une séquence de commentaire ou de description. Il consiste en un gigantesque discours rapporté du protagoniste principal, l’écrivain Jack Toledano, entendu – car il est bien difficile de parler d’un échange – par un ami lors de leurs promenades dans les parcs et jardins (dont Moo Park) de Londres. La faconde de l’écrivain, personnage involontairement extravagant, déclinera en livrant un secret d’autant plus étonnant que nul suspens ne motive en réalité la lecture ; rien sinon la curiosité de savoir à quoi une prose si étrange pourrait aspirer comme dénouement. Gabriel Josipovici met dans la bouche du protagoniste des divagations sur des sujets parfaitement éclectiques, mais cependant réels ; qu’il aborde la question du prix Nobel, de la judéité, de l’Angleterre, du travail, de l’art des jardins, de la chose littéraire, ou enfin – thème central qui sous-tend tout le livre sans dire son nom – du langage, il s’agit à chaque fois d’une réflexion authentique et originale, souvent amusante, quelquefois déstabilisante, là encore sans effets rhétoriques et sans visée autre que le sincère partage. Au hasard : « Nous disons souvent, dit-il, que c’est là l’un des symptômes du malaise moderne, ce besoin de toujours être au travail, que c’est une des façons d’enfoncer la tête dans le sable, le signe de notre incapacité à être à l’aise avec nous-mêmes. Mais ce n’est peut-être pas exactement cela. C’est peut-être que les gens sentent que ce n’est qu’en faisant une chose régulière et automatique qu’ils libéreront l’inattendu dans leur vie ». Autant dire que « l’histoir de Moo Pak » est aussi celle d’une obsession qui confine à la folie.
Marta Krol
Moo Pak
Gabriel Josipovici
Traduit de l’anglais par Bernard Hoepffner
Quidam éditeur, 185 pages, 20 €
Domaine étranger Moo Pak
avril 2011 | Le Matricule des Anges n°122
| par
Marta Krol
Un livre
Par
Marta Krol
Le Matricule des Anges n°122
, avril 2011.