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Domaine étranger Furie noire

juillet 2011 | Le Matricule des Anges n°125 | par Martine Laval

Après Sukkwan Island, David Vann retrouve les terres du Grand Nord. Scrutant la solitude des âmes et ces destinées trop lourdes à porter. Rencontre.

Il a tout du beau matelot à faire rêver les lecteurs de magazines de reportages au long cours. Regard clair, sourire émerveillé et corps sec de l’athlète accompli. Un air d’éternel adolescent, étrangement serein… Tromperies. L’Américain David Vann navigue sur des eaux bien plus sombres et terrifiantes que l’océan Pacifique qui l’a vu naître en 1966, sur l’île Adak, au large de l’Alaska : celles qui sondent l’infini de l’âme humaine, la littérature.
Son premier roman, Sukkwan Island, publié en janvier 2010 par les jeunes et intrépides éditions Gallmeister et aujourd’hui réédité en collection de poche, met en scène l’apocalypse, l’insoutenable destin d’un père et de son fils dans une nature souveraine, diabolique… Presse éloquente, bouche-à-oreille fantastique, et un prix Médicis étranger pour couronner un succès en librairie (130 000 exemplaires).
Avec le tout nouveau Désolations – titre ô combien inquiétant sinon déstabilisant – David Vann récidive avec force, sonde l’impitoyable univers familial, suit les dérives d’un couple à bout de souffle, et s’arrime dans une littérature du grand dehors, sauvage et pure, tragique et magnifique, à l’image de l’Alaska, ce pays qui lui coule dans les veines, le hante, le nourrit.
« Le paysage est la page blanche sur laquelle l’inconscient se raconte lui-même » dit-il le visage soudainement grave. Pour David Vann, le paysage ne serait donc pas un simple décor, mais bel et bien une présence, un personnage parmi d’autres, trop humains ceux-là, si désespérément faibles, lâches, perdus. La nature, une faiseuse d’imaginaire, d’émotions, de rage, de poésie, une faiseuse de libertés. Parfois, espace de rédemption, ultime refuge : une sorte de paradis. Parfois, oppressante, tyrannique : une sorte d’enfer. La vie même.
L’écrivain, écolo forcément, exalté certainement, s’avoue « fasciné  » par la nature, un être vivant qui sans cesse « bouge, change, évolue, surprend », qui, à son insu, triture son esprit, l’oblige à se livrer – se délivrer. En maîtresse intransigeante, c’est elle qui dirige la narration, trace presque les mots : « Je crois que l’on ne choisit pas ce que l’on va écrire. J’avance par images, par visions. Il y a quatorze ans, j’ai écrit 48 pages sur l’histoire d’Irene et de Gary. Je n’étais pas assez mûr pour raconter une histoire d’amour, parler du mariage, de trente ans de vie commune. Il y a deux ans, sur les bords d’un lac gelé, je me suis représenté une des scènes finales de Désolations, j’ai vu Irene traverser ce même lac. Juste cela. J’ai repris depuis le début. Cinq mois et demi d’écriture. Une expérience intense, au jour le jour, sans plan. J’étais un aveugle avançant sur un chemin tout tracé. Jamais, je n’ai douté. Je savais où le paysage m’emmenait. »
Les premières lignes de Désolations plantent le décor – âpreté, noirceur : « Ma mère n’était pas réelle. Elle était un rêve ancien, un espoir. Elle était un lieu. » Irene a 10 ans. Elle marche seule dans la neige, ouvre la porte de la maison, trouve sa mère pendue. Pour la première fois de sa vie, Irene confie ce souvenir de plomb à sa propre fille, jeune femme amoureuse aux rêves de pacotille, de mariage au soleil, loin de l’Alaska. Très vite, à peine deux pages plus tard, David Vann met alors en place un suspense lancinant, une tension à vif, une mise en pièce du couple Irene + Gary. Maladresses, ratages, amertumes, tout ce qu’un couple accumule de rancœurs en trente ans, quand désir, tendresse – amour ? – ont fondu comme neige au printemps.
Rien qu’avec ses deux romans, l’écrivain s’inscrit dans la lignée des scrutateurs de l’âme, les Américains Joyce Carol Oates, Russel Banks, Cormac McCarthy, Jim Harrison, ces grands pourfendeurs de destinées trop lourdes à porter, d’héritages familiaux aux mille mystères. Que fait-on de la filiation, de ces liens obscurs qui unissent / désunissent ? Que fait-on de sa propre histoire lorsque l’on croit l’avoir enterrée à tout jamais, et qu’elle resurgit un petit matin sans crier gare, qu’elle sème l’effroi, la terreur ? Écrire pour exorciser ses démons. Mais avant tout lire, se gorger des histoires des autres pour se révéler à soi-même : « On ne lit pas pour être heureux, mais pour être mis à l’épreuve » s’exclame l’auteur, dans un grand éclat de rire.
À force de batailles, en s’inventant des aventures, des passions, des navigations sur les mers du monde, David Vann a largué son terrible héritage, le divorce de ses parents, le suicide de son père alors qu’il n’était qu’un gamin. Il s’est affranchi de l’empreinte familiale, de ses stigmates traumatisants, culpabilité, nostalgie, et s’est avancé, confiant, sur le chemin de l’écriture. La fiction, ni remède ni amie consolatrice, mais bel et bien, cette page blanche comme l’Alaska où s’écrit au présent la marche du monde, la destinée d’hommes et de femmes aux abois, seuls devant l’immensité de leurs sentiments.

Martine Laval

Désolations
David Vann
Traduit de l’américain par Laura Derajinski
Éditions Gallmesiter, 298 pages, 23
Sukkwan Island
coll. Totem, 8

Furie noire Par Martine Laval
Le Matricule des Anges n°125 , juillet 2011.