Ce premier roman de Sandrine Bourguignon est le récit du quotidien d’une psychologue, qui travaille dans un hôpital psychiatrique. Autour de Claire, qui voit l’homme avant le symptôme, gravitent des personnages inoubliables. Il y a Monsieur Zed, 88 ans, qui « attend d’attraper la mort », vu qu’il « a fait son temps comme il dit, et la vie, ça ne finit toujours pas ». Il y a le Cyclope, prédicateur, qui promeut en tout instant son infirmité en don d’ubiquité : « Je n’ai peut-être qu’un œil, mais j’ai une longue vue. Alors je vous le répète, vous n’irez nulle part où qu’on aille on est encore ici. »
Dans l’étrange arène où ont échoué ces malades, Claire est le point nodal par lequel passe le récit, elle est la passerelle fragile entre le dehors et le dedans, et tente d’être présente auprès de ces déraisons clairvoyantes. En dehors de son amant Pierre, qui disparaît régulièrement et la laisse comme un animal errant, elle ne vit que pour ses patients. Abandonnés eux aussi, « des trotteuses en décalage horaire. Chacune son fuseau ». Jusqu’au moment où pénètre en ce lieu dont elle croyait connaître toutes les ombres, Antony. Il pourrait être le fils qu’elle n’a pas eu. Mais lui a tenté de tuer sa mère.
Pas de frontières entre le monologue des patients, et le récit de la vie de Claire. Mais une unique tonalité, dans un seul temps, en un seul lieu. Celui de la tragédie qui point, dans les fuites répétées d’Antony, et dans les exigences sécuritaires qui traitent les pensionnaires comme des criminels en puissance. Dans leurs paroles, comme dans celle intérieure de Claire, s’immiscent de fines lames poétiques qui transpercent, et nous font basculer dans cet univers de l’ultrasensible. Avec un style télégraphique, nerveux, entre récit documentaire et fiction, régulièrement cisaillé par l’intrusion du discours décalé de Nicolas Sarkozy sur les hôpitaux psychiatriques, ce court roman nous offre « la destinée des fous comme des chiens qui divaguent ».
Virginie Mailles Viard
Quelque part dans la nuit des chiens
Sandrine Bourguignon
Sulliver, 158 pages, 14 €
Domaine français Quelque part dans la nuit des chiens
novembre 2012 | Le Matricule des Anges n°138
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Le Matricule des Anges n°138
, novembre 2012.