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Les mains dans la lutte C****

janvier 2013 | Le Matricule des Anges n°139 | par Charles Robinson

Il y a les usagers. Il y a l’institution. Et lui modifie, en dépit du guichet, la relation instaurée entre les deux. Ça passe par des choses très simples. Il tutoie les clients (clac-clac, ça c’est le bruit de la balle engagée dans le canon du gun tenu par le formateur assurant la formation continue des guichetiers, dont la moue sévère annonce « Fatal Error ! »). Il repousse loin la logique de l’institution : dans les brochures que personne ne lit, sur les affiches que personne ne regarde, dans les règlements transmis par courriel aux agents et qu’ils n’ont jamais le temps d’ouvrir. Lui et les usagers savent que ça existe, que c’est là, que c’est important, que ça peut créer des difficultés. Mais lorsqu’il lève sa bouille fatiguée vers le client, ce n’est pas pour avancer les raisons de l’institution, c’est pour dire : Ho, tu veux qu’on trouve une solution pour ton problème ou pas ? Et finalement sa journée ressemble beaucoup à du dépannage, une sorte de bricolage au sein de l’institution. Stylo qui fuit, formulaire chiffonné, gomme, et les affres avec les ordinateurs sur lesquels on ne peut plus bidouiller.

Il dit : « C’est quoi le code administrateur-machin, déjà ? Ils l’ont encore changé ? »

Malgré la queue, il fera toujours un bout de conversation, une blague ou deux, demander des nouvelles des enfants.

Il dit : « Et ta femme, alors, on la voit quand ? »
Le divorcé, en face, pas rasé, cheveux qui rebiquent, pull humide sous une doudoune qui prend l’eau, se marre.

Pas mal de ses collègues ont opté pour le costume (ou le maquillage, ou la coiffure élaborée), pour acquérir une prestance, une distinction, poser une barrière. Difficile de tenir au front sans quelque chose qui vous protège du roulement continu des administrés : un toutes les huit minutes en moyenne, qui râle, qui prie, qui se fait répéter cinq fois, qui ne comprend pas, qui ne dit plus rien et reste figé, qui proteste, qui appelle ses grands dieux, qui vous engueule, qui vous menace, qui demande à parler au directeur, qui appelle ses frères, son mari. Difficile d’être exposé seul, aux heures de pointe ; et on n’est jamais seul quand on a avec soi une attitude, un uniforme, un dispositif pour faire écran. Le guichet est une collerette.

Lui a toujours une fesse hors de la chaise, la chemise pas repassée, un chandail boudiné, le col roulé trop court. Et une des trois coupes de cheveux les plus moches du monde. Et il se gratte le bide avec le stylo quand ça le démange.

Ses collègues déversent de temps à autre la rage accumulée contre lui, qui ne joue pas contre l’institution, mais joue malgré elle. Qui quand il est pris à témoin de l’impossibilité de répondre favorablement à l’usager, répond au moins une fois sur deux : Ouais, ouais… bon… vas-y, fais-lui…
Il dit : « Tu sais bien qu’on n’a pas le droit de faire ça, tu le sais, tu demandes quand même… t’es chiant ! C’est la dernière fois, hein ? »

Ils disent : « Il n’a pas de solidarité avec nous. Il leur passe tous leurs caprices. Après, nous, on passe pour les méchants… On peut pas faire comme ça si on veut que les guichets aient de la tenue. »

Le problème de fond que rencontrent ces institutions – guichet de sécurité sociale, d’assurance, de poste, une banque – ce n’est pas tant d’être administrées par des règles trop sévères ou absurdes, c’est d’appartenir à un ordre du monde devenu trop compliqué, qui impose à chacun d’être plus ou moins juriste, diplomate, négociateur, gestionnaire, qui nécessite d’avoir une situation claire et avouable, une compréhension fluide du langage administratif, de savoir s’adapter.

Il dit : « La façon dont on les sert… ça montre qu’ils sont des personnes… qu’ils appartiennent à la société… dans des milieux comme ça, ils ont pas l’impression de faire partie de la société, c’est pour ça qu’ils collaborent pas… La façon dont on les sert c’est pour dire : bien sûr que t’es dans la société, hé banane, tu crois que t’es où sinon ? »

Il dit : « Mon job, c’est rendre service, pas appliquer les règlements. Putain, ils sont déjà bien assez dans la merde comme ça. »

On peut légitimement s’interroger à son sujet. Les mains dans la lutte ? Pas d’engagement politique connu, pas de pratique associative. Les mauvaises langues ajouteront même que le mou qu’il instaure dans le système est la meilleure protection du système, qui sans son action fissurerait sous la pression des administrés et l’absence de solutions qui leur serait opposé. Et pourtant, oui, force est de reconnaître qu’il a les mains dans la lutte. Les deux. Parce que la lutte ne commence pas avec les idées politiques, mais très simplement de se trouver quotidiennement au contact des gens et de ne pas penser un instant qu’on puisse être ailleurs que de leur côté.

C**** Par Charles Robinson
Le Matricule des Anges n°139 , janvier 2013.
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