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A la fenêtre Que tu es belle

janvier 2014 | Le Matricule des Anges n°149 | par Marie Cosnay

C’est une belle scène, une belle histoire, par écrit je ne sais pas, j’ai hésité à l’écrire, je n’étais pas sûre que par écrit ce soit une aussi belle scène, je l’ai racontée aux amis, je n’ai pas encore osé l’écrire, je l’ai racontée et on a eu de la joie, parfois, quand le récit était vibrant et sensible – comme la scène à quoi j’ai assisté, qui, c’est sa force, ne se présentait pas comme une scène mais comme une banalité, comme le truc le plus normal qui soit.

Avant de tenter le récit par écrit de la scène brève et quotidienne, il faut planter le décor, moins bref, les circonstances quotidiennes. Voiture. Radio. 1500 tonnes de produits chimiques, on dit Gaz Moutarde, embarqués sur des cargos qui doivent, via port secret, Italie ou Danemark ou autre, être détruits en un lieu neutre, extraterritorial, ça plante un décor très lointain et très fictionnel, cependant que se poursuit la guerre civile, ce matin 21 enfants sont morts.
Au travail, la tête des adultes, heureusement il y a celle des enfants. Quoique.
Au reproche que je fais à l’un d’eux de s’éparpiller une fois de plus, Pauline, bonne élève, donne la réplique. Elle renchérit : « ah Madame, ces garçons, quels assistés ».
Assistés, assistés, Pauline, est-ce bien sûr que tu veuilles dire « assistés » ?
Ben, dans notre société, commence la toute jeune fille…
Tu ne veux pas dire plutôt que Gaétan a la tête en l’air ? Moi c’est ça que je veux dire, il a la tête en l’air, c’est mon boulot de le rappeler à nous mais c’est sympathique d’avoir la tête en l’air et surtout surtout je crois que tu t’es trompée de mot, tu en as utilisé un que…
Non non, il est assisté parce qu’il attend que ça lui tombe tout cuit.
Moment de solitude, entre rêveurs et moins rêveurs – mais, c’est plus sûr, reprenons le combat au livre IX de l’Enéide, entre Turnus et Pandarus. La cervelle du géant Pandarus tremblote tiède sur les pieds de Turnus, et le garçon rêveur, assisté dit Pauline, adore ça, il essaie de nous raconter tous les films d’horreur que la scène lui évoque. Moi je n’y suis plus tout à fait. Et je me souviens.
Au début du mois de novembre, un plombier est venu chez nous réviser la chaudière, je tenais pour l’aider une lampe de poche en direction des tuyauteries moins accessibles.
Alors, contente d’avoir voté Hollande, il disait, satisfaite ? Taxée, taxée, taxée, maintenant, ah bravo. Tandis que tous les assistés.
Je répétais que j’étais satisfaite, oui, de payer des taxes justes qui permettent un peu de redistribution, mais que cet automne, oui, c’est vrai, c’était difficile. Que c’est l’impôt injuste qu’il fallait combattre, pas l’impôt.
Le plombier répondait qu’une prof, comme moi, seule avec ses deux enfants, lui avait confié qu’il lui restait 150 euros par mois pour manger, alors, les pattes et les patates, ça y va, tandis que les assistés.
Il ajoutait : les riches je le comprends, ils s’échappent en Suisse ou à Singapour, hein, on va quand même pas tout leur prendre, eux ils ont la gnaque, c’est pas comme ces assistés…
Alors, la chaudière s’est mise à couler. On n’a jamais su ce qu’a eu la chaudière mais elle s’est mise à protester si fort et bien qu’en un quart d’heure on avait les pieds dans l’eau, on écopait et le plombier se taisait.
La journée se termine. Voiture. Cartable et courses à rentrer dans la maison. Le voisin m’aide, sympathique. Il entre un moment. Cherche à rédiger un CV. Oui, je l’aiderai. Il se plaint de cet automne, pluie, froid, crise. Il commence : je suis pas raciste.
Lorenzo et moi nous nous regardons. C’est Lorenzo qui trouve tout de suite à répondre au jeune voisin, mimant la complicité : attention à ce que tu vas dire après « je suis pas raciste » : j’en connais un qui va partir avec une tonne de livres sous le bras…
Ça n’arrête pas le voisin, qui voit « des drapeaux d’Afrique du Nord partout », « on n’est plus en France », « on n’a plus la fierté ». Bientôt, le fondamentalisme à nos portes, etc.
La journée se termine. Et là, une bonne idée : je vais aller nager. Je vais aller nager pour oublier les discours, les perroquets, les automnes et la tête des adultes.

Une longue file attend pour aller nager. Devant moi, une toute jeune femme, je la connais de vue, elle était au collège avec mon fils aîné, elle a 20 ans, porte depuis peu une burqua marron, sous la burqua on voit ses yeux immenses, très maquillés, sa bouche rouge, cachée puis montrée puis cachée encore, elle attend avec sa jeune sœur dans la file de la piscine, sans doute surveillera-t-elle la petite, elle a de très hauts talons compensés, un jean qu’on devine, sous la robe, moulant, une allure magnifique, un sourire éclatant et tout le monde la regarde.
Je pense qu’on va avoir droit, dans la file qui attend d’aller nager, à du discours encore, cette rumeur-là, des peurs et des peurs.
C’est Patricia qui est à l’accueil. On lui achète la carte qui permet d’ouvrir le portillon d’entrée et le casier. Elle connaît tous les nageurs du quartier. Les confirmés, comme on dit, et les occasionnels. Les jeunes, ceux qui venaient enfants, elle connaît nos enfants. Elle connaît nos prénoms.
Quand c’est le tour de la jeune femme en burqua, Patricia s’exclame : « Que tu es belle, Gemila ! Et comment va maman ? »
Et c’est tout. Que tu es belle, Gemila.
Et Patricia a raison. Elle est belle, Gemila. D’ailleurs, c’est pour ça que tout le monde la regardait dans la file qui attendait d’aller nager, ce soir.

Que tu es belle Par Marie Cosnay
Le Matricule des Anges n°149 , janvier 2014.
LMDA PDF n°149
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