Gabriel n’est pas un ange. Ses braquages de haut vol lui ont valu de passer de nombreuses années dans la prison des Chaumettes. Mais son existence, refusée dès sa naissance, les coups qui pleuvent, lui ont comme donné un sixième sens. Gabriel est doué d’une capacité à ressentir les émotions, à saisir le ténu, qui lui permet de ne pas sombrer. De soutenir plus perdu que lui, comme Max compagnon de cellule injustement accusé de viol, comme Paulo, SDF, qu’il recueille dans son appartement une fois sa liberté recouvrée. Cette perméabilité au sensible s’incarne dans un appareil photo volé dans les poches d’un détenu mort. De là découle un récit sous forme de flashes, qui saisit les instants, tourne les pages d’un album qui gagne en force. Gabriel a développé en prison un rapport au réel qui tient de la taille du photon, de l’élision, de ce qui ne se voit pas : les homeless, les taulards. Et lui, narrateur de son histoire, s’en extrait, jamais ne dit « je », laisse la place au verbe, et la phrase résonne comme un coup de poing. Il le sait, jusque-là, sa façon d’exister, c’était braquer, « l’adrénaline du danger poignant de la dissidence sous toutes ses formes ».
Une fois dehors, ses photos plaisent aux galeristes, mais là encore, les marlous sont légion. Et l’administration en cache quelques-uns en son sein. Pourtant, c’est là, lors d’un de ces rendez-vous systématiquement repoussé, ses photos sous le bras, que Gabriel voit Rosalie. Ses jambes d’abord, qui attendent l’entretien qui ne viendra jamais. Et la grâce revient, celle qui emporte tout le récit, qui se glisse imperceptible, même là où elle ne pourrait pas. Comme ici, dans son travail de garagiste de nuit, quand il s’agit de faire payer un fraudeur. « Une gifle à droite. Pour l’axer. Une à gauche. Pour l’orienter. Une dernière pour la route. »
Rosaline Delacour varie les coups, les césures, les aventures et mésaventures de ce personnage éminemment romanesque. L’Arrache tient à la fois du polar, de l’essai, et du poème. Et ici, « la magie de la forme opère à la limite de l’absence ».
Virginie Mailles Viard
L’Arrache
Rosaline Delacour
Éditions Delphine Montalant, 88 pages, 12 €
Domaine français En pleine lumière
mars 2014 | Le Matricule des Anges n°151
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
En pleine lumière
Par
Virginie Mailles Viard
Le Matricule des Anges n°151
, mars 2014.