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Domaine étranger Déclin de famille

avril 2015 | Le Matricule des Anges n°162 | par Blandine Rinkel

Avec Ton père honoreras, c’est une véritable pyschologie sociale du milieu mafieux que tisse Gay Talese, l’inventeur du nouveau journalisme.

Ton père honoreras

Peut-on faire de sa famille une profession ? Penser que non, ce serait compter sans la mafia, dont la mission principale est de défendre les intérêts de la famille, avec petit et grand f. Ainsi la tâche du mafieux Salvatore Bonanno – dit « Bill », et dont Gay Talese restitue l’essor puis la déconfiture dans Ton père honoreras – sera d’être à la fois un bon père, un bon époux et un bon fils de famille. Et pas de n’importe laquelle : la fratrie « des Bananes », l’une de des cinq grandes puissances mafiosi qui contrôlaient les États-Unis dans les années 1970. Bon père, époux et fils, c’est-à-dire à la fois celui que ses trois enfants et son épouse honorent, mais bien celui qui sait aussi honorer son propre père, Joseph Bonanno, soit le haut patron de la Cosa Nostra. N’hésitant à prendre les armes et les risques qui s’en suivent.
Si Francis Ford Coppola (Le Parrain, d’après le roman de Mario Puzo) ou David Chase (scénariste de la série Les Sopranos) ont largement exploré le thème de la mafia à travers des fictions destinées au grand public, Gay Talese est néanmoins le premier auteur de non-fiction à « avoir jeté un éclairage de l’intérieur sur cette société secrète qu’était la mafia à la fin du XXe siècle ». Il a enquêté une demi-douzaine d’années auprès des Bonanno et de leurs proches pour mieux comprendre « à quoi peut bien ressembler la vie d’un homme encore jeune au sein de la mafia ». Dans cette investigation de 600 pages (aujourd’hui rééditée), tout est véridique. Comme l’enfant de 3 ans qui, par mégarde, tire un coup de fusil dans la maison familiale assoupie, comme l’associé le plus fidèle de Joseph qui succombe d’une crise cardiaque en apprenant la condamnation de son patron, comme les observations incongrues du cadet Bonanno qui, à force de voir son père absent passer des appels anonymes, se persuade que ce dernier vit quotidiennement « dans une très grande cabine téléphone vitrée où on lui parle par téléphone sans payer le sou ».
Non satisfait de peindre le New York des 70‘s (cette « ville idéale pour ceux qui se cachent ») et de retracer l’identité narrative de la famille Bonanno, c’est aussi une véritable psychologie sociale du milieu mafieux que Gay Talese tisse dans cette œuvre. De la publicité de soi que l’on refuse et répugne (« Ne laisse jamais transparaître ce que tu es ni ce que tu éprouves, disant Joseph Bonanno à son fils et Bill s’efforçait de suivre ce conseil. ») à la solidarité familiale indestructible (« La piété familiale comptait beaucoup plus. Jamais il ne se serait écarté de son père. ») en passant par l’asphyxie inhérente à la famille faite profession (Salvatore se verra tantôt « contraint » de prendre une maîtresse, tantôt obligé de prendre le large), Ton père honoreras restituant aussi bien les codes du milieu que leurs retentissements intérieurs. Et l’on s’extrait du roman d’aventures à sensations fortes pour rallier une enquête d’aventures à modélisations fortes. Bill Bonanno, loin d’être présenté comme un surhomme à cigares et dollars, ne cessera au contraire d’être mis en scène ébranlé par le doute, la lâcheté, voire par l’échec. N’ayant aucune « majesté naturelle », ni le moindre désir à l’égard du danger. À la fin du récit, apprendre sa condamnation, et l’arrêt forcé de ses activités, ira d’ailleurs jusqu’à le soulager. Il fallait en finir. C’est que pour les protagonistes de Ton père honoreras – rappelant d’ailleurs ceux d’une autre famille sicilienne en chute libre, celle du Guépard de Lampedusa – « les temps changeaient, la dynastie se désintégrait, l’insularité des familles italiennes ne survivrait vraisemblablement pas à la troisième génération et peut-être était-ce heureux pour ses enfants ».
Et c’est ici la principale qualité de l’enquête de Gay Talese : avoir réussi à composer une histoire comblée d’adrénaline sans pour autant faire l’économie des nuances psychologiques et de la subtilité descriptive. De l’écriture, en somme.

Blandine Rinkel

Ton père honoreras
Gay Talese
Traduit de l’américain par Yves Malartic et Michel Cordillot
Éditions du sous-sol, 605 pages, 23

Déclin de famille Par Blandine Rinkel
Le Matricule des Anges n°162 , avril 2015.
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