Les auteures de cette courte pièce ont une quarantaine d’années, sont aussi metteures en scène et font partie de la nouvelle vague du théâtre bulgare, née après la chute du communisme. Un théâtre critique, exigeant et très engagé. Protohérissé commence par une lettre : celle d’une femelle échidné à long nez (Zaraglossus brujinii), mammifère australien de la famille des ornithorynques inscrit sur le livre rouge des espèces animales menacées de disparition. Elle a compris l’urgence de la situation et s’est mise en quête d’un mâle. D’autres lettres suivent, et son histoire court tout au long de la pièce. Elle connaîtra malheureusement une fin tragique : « (…) la voiture ne ralentit pas, les pneus écrasent l’animal. Cela se passe en Nouvelle-Guinée. L’animal reste sur l’autoroute, énorme flaque de chair et de sang. »
Parallèlement, nous suivons l’histoire d’un homme qui, en pleine nuit, quitte sa maison, sa femme et son enfant : « Il a pris quelques vêtements, un peu de nourriture, de l’argent en quantité suffisante, et il s’en va. » La police enquête, sa famille fait des suppositions : « Peut-être que papa est allé chez le dentiste, hier on aurait dit qu’il avait mal à une dent. » Et les voisins émettent des jugements : « Chais pas dans quelle merde faut être pour laisser tomber comme ça sa femme et son gosse sans leur donner d’explication. » Cet homme était un scientifique travaillant sur le projet de construire un ascenseur cosmique pour permettre à l’espèce humaine d’échapper aux désastres écologiques qui s’annoncent en allant habiter sur d’autres planètes. Mais il prend un tout autre chemin, passe à l’action et construit une bombe artisanale qui explose dans les mains du coursier chargé de la déposer devant l’Institut de nanotechnologies.
Son parcours ressemble à celui de Ted Kacsynski, brillant mathématicien et philosophe américain, arrêté et condamné à la prison à perpétuité en 1996 pour seize attentats aux colis piégés. Ces colis étaient destinés à des personnes défendant la société technologique. Ce fut la plus longue chasse à l’homme jamais menée par le FBI. Et le texte cite régulièrement des extraits du Manifeste « La Société industrielle et son avenir », écrit par Ted Kacsynski (surnommé Unabomber) et publié en 1996. Un Manifeste qui dénonce les dangers de la technologie pour l’homme, son environnement et son mode de vie et que l’on trouve très facilement, traduit en français, sur la Toile. Gergana Dimitrova et Zdrava Kamenova mènent de front ces différentes histoires, construisant un plaidoyer écologique contre le monde tel qu’il va. Des espèces disparaissent, la science crée le premier organisme vivant synthétique, certains se révoltent et choisissent la violence, un enfant regarde le ciel où des satellites tournent interminablement scrutant les moindres faits et gestes de la vie sur terre. Mais les auteures n’oublient pas l’humour, un humour fin et joyeux qui crée une distance et fait de leur texte un éloge pour une planète heureuse et responsable. Leur écriture est claire, limpide, alternant le récit, les dialogues, les lettres, les citations. Leur travail est au cœur des questions posées aujourd’hui à l’humanité et des réponses qu’il convient d’y apporter si l’homme ne veut pas connaître le sort de l’échidné à long nez et disparaître définitivement. Un texte positif et réjouissant.
Patrick Gay-Bellile
Protohérissé (BP : Unabomer)
Gergana Dimitrova & Zdrava Kamenova
Traduit du bulgare par Marie Vrinat
L’Espace d’un instant, 56 pages, 12 €
Théâtre Pour un avenir durable
juin 2015 | Le Matricule des Anges n°164
| par
Patrick Gay Bellile
Mêlant écologie et violence, Protohérissé est un texte de théâtre joyeux sur les impasses de l’évolution.
Un livre
Pour un avenir durable
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°164
, juin 2015.