Qu’est-ce qu’un jour, qu’est-ce qu’un lieu… qu’est-ce qu’exister ? Il faut accoster l’utopie d’une île, accompagné d’un homme venu y garder la maison d’un ami, un jardin rempli de ronces et un chien à trois pattes pour le savoir. Il faut aller sur l’île de Sainte-Pélagie, où les touristes sont rares. Et pour cause, le maire lui-même – un nain armé d’un gros cigare – vient décourager les visiteurs. Mais notre narrateur n’a rien à perdre : il est prêt à la mue, et à laisser derrière lui une peau d’ennui et de lente agonie. Ces trois semaines seront une plongée dans un monde étrange, de quoi ouvrir les yeux, et se faire façonner par l’île, ses habitants, et le temps ici si changeant. Ce sont eux qui malaxent et sculptent. Le visiteur n’est que la pâte. Il s’agit pour le narrateur d’arpenter l’île, d’ouvrir sa porte à 3 heures du matin aux vendeurs d’une encyclopédie « qui pourrait bien vous changer la vie ! ». D’accepter l’invitation nocturne de deux poivrots : aller chercher des étoiles filantes sur une terre voisine. Elles ne seront que pierres grises au réveil, mais quelle nuit ! Et l’incongru devient une évidence : cet enfant aveugle qui attend en vain le retour de son père parti en mer, les lanceurs d’éponges en mousse du Cirque Prudence. Le récit, toujours à la frontière de l’étrange – comme ce sable, où se trace une ligne d’horizon entre le mouillé et le sec –, progresse vers une conquête de soi : le narrateur conduit ce rêve éveillé, puisqu’ici il a « encore une chance de se faire une place ». « Parfois, une mouette se posait sur l’avant du bateau. Je m’imaginais que c’était ma mouette apprivoisée. Mon bateau. Ma mer. Puis la mouette s’envolait et tout ça m’échappait. » Mais cette maison n’est pas la sienne, et le retour d’Henri imminent… Guillaume Siaudeau fait de l’île un être vivant, une matrice, un lieu ontologique, dont il faudra s’arracher. S’ex-îler.
Virginie Mailles Viard
La Dictature des ronces
Guillaume Siaudeau
Alma Éditeur, 178 pages, 16 €
Domaine français La Dictature des ronces
juin 2015 | Le Matricule des Anges n°164
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Le Matricule des Anges n°164
, juin 2015.